jeudi 27 juin 2013

Chronique de Georges Bormand sur Phenixweb

http://phenixweb.net/KLOETZER-L-L-Anamnese-de-Lady

S’il était encore nécessaire de prouver de manière irréfutable que la science-fiction n’est pas une littérature « de genre » ou un « genre littéraire », mais un MODE d’écriture littéraire (élargissement des règles et introduction de règles supplémentaires), ce roman, après Cleer dont la qualification de « fantasy corporate » n’était pas davantage un classement dans une forme existante, en serait une preuve que ne peuvent ignorer que les illettrés, au nombre desquels tous les académiciens et critiques établis qui nient la science-fiction. Et il est tout à fait inutile de faire appel à un prétendu « transgenre » pour lui reconnaître les qualités littéraires incontestables de cette œuvre, c’est de la pure science-fiction, puisqu’il s’agit d’une anticipation, d’un récit post-apocalyptique, avec en plus des extraterrestres qui vivent parmi nous, les Elohim.

Donc, dans ce monde futur où existent ces Elohim, surhumains, la catastrophe révélatrice (l’Apocalypse, ici rebaptisée à l’aide du terme japonais équivalent de Satori, éveil spirituel) a eu lieu : un attentat commis à l’aide d’une « bombe iconique » à Islamabad a déclenché une pandémie qui a atteint, bien au-delà des ethnies visées, la totalité de l’humanité, a fait disparaître les trois quarts de la population par destruction complète de leurs capacités mentales et perdure à cause de « porteurs lents » qui ont la maladie et peuvent la transmettre par simple contact visuel, mais survivent néanmoins.
Alors les survivants non infectés essayent de reconstruire un monde nouveau. Un monde doté de technologies encore plus développées, de la possibilité de départ vers d’autres mondes, mais toujours soumis à la menace des « porteurs sains », qui vivent en sauvages à l’extérieur des cités protégées par gardes et technologies et aussi à la menace d’une répétition de la catastrophe. Aussi, soupçonnant que le procès des responsables de l’attentat n’a pas permis de refermer la boîte de Pandore qu’ils avaient ouverte, et que certains ont pu s’échapper, un petit groupe de traqueurs qui s’intitulent Vergiss mein nicht ou Mémoire, revisite les rapports, revoit les témoins, à la recherche d’une « muse » du groupe de savants et de militaires qui ont préparé l’attentat. Probablement une « Elohim » qui est apparu sous différents noms, tous plus significatifs, Kirsten Lie l’artiste, Nomen Rosae l’avatar informatique, Hypasie la servante...

Cette quête nous est contée à travers les témoignages, parfois mensongers, parfois évolutifs au fur et à mesure des questions posées par les chercheurs, des différents acteurs. Et comme les récits se répartissent entre la préparation du Satori et les différentes rencontres avec l’Elohim recherchée, sur une période qui va jusqu’à cette traque 53 ans après le Satori, comme les différents récits sont écrits de manière différente suivant la personnalité du narrateur, et comme les sous-entendus, ou le choix des termes, jouent un rôle important dans le roman, nous avons un roman difficile et exigeant. Et qui constitue un nouveau sommet de la littérature (en mode SF)...

Mais nous étions prévenus dès le titre : qu’est-ce donc que cette anamnèse ou absence d’amnésie (le dictionnaire veut rendre le terme équivalent à mémoire, mais la double négation demanderait plutôt à traduire « absence de refus de la mémoire ») ? Et ce refus de l’oubli est bien indispensable, sous peine que celle qui a ouvert la boîte de Pandore ne recommence...

jeudi 13 juin 2013

Sur le studio imaginaire


Ahhh, Laurent Kloetzer. L’un des derniers auteurs dont je puisse acheter le livre sur son seul nom, sans me soucier une seconde du sujet, du genre (et donc pas besoin de commettre ce geste sacrilège qu’est la lecture de la 4ème de couv, qui comme d’hab, révèle la moitié du synopsis).
Pour les impies, Laurent Kloetzer est avant tout l’auteur de « Mémoires vagabondes », ouvrage de fantasy basé sur le personnage de Jaël de Kherdan, écrivain bretteur et libertin, dont j’aurai l’occasion de reparler puisqu’on le retrouve récemment, dans le recueil « Petites morts ».
En 2011 paraissait « CLEER, une fantaisie corporate », co-écrit avec son épouse Laure, qui se distinguait des précédents par une écriture plus sophistiquée voire alambiquée (à la Dantec), résolument plus moderne (on se situe dans un futur proche), et s’adressant, à mon sens, à des lecteurs dotés d’une culture assez solide.

Même phénomène ici, « Anamnèse de Lady Star » annonce la couleur dès la couverture : il faut de la culture, beaucoup d’imagination et de concentration pour suivre !
C’est qui, Lady Star ?

Comme pour ses trois derniers ouvrages (depuis l’excellent « Royaume blessé », en fait), Kloetzer écrit sous forme d’une succession de nouvelles pouvant théoriquement se lire séparément.
Les récits, placés à des époques successives mais avec de multiples changements d’époque (parfois d’un paragraphe à l’autre), présente les différentes traces laissées par l’insaisissable Lady Star, personnage sans âge, sans nom, dont l’auteur nous laisse juger qui elle est et ce dont elle est responsable… Notez que je ne l’appelle Lady Star qu’en raison du titre, ce nom n’apparaissant pas dans le texte.

Car la grande question, c’est de bien de retrouver les « responsables » : la toile de fond du roman, c’est une sorte d’apocalypse, l’anéantissement des trois quarts de l’humanité par une bombe/virus de conception humaine. Et Lady Star y est mêlée, mais comment le prouver et comment connaître son rôle quand son existence même ne cesse d’être remise en question ?
Le futur techno-apocalyptique de Lady Star

Le grand oeuvre du couple Kloetzer, outre ce style d’écriture incisif, subtil, parfois cryptique, où chaque mot peut peser autant qu’une phrase, c’est l’immense toile de fond sur laquelle se déroule le récit, sur plusieurs décennies. Sans jamais décrire les évènements où le monde, de façon complètement indirecte, ils brossent un monde vivant de technologies futuristes, nous font comprendre comment l’humanité a survécu, quelles horreurs elle a connues, quels chemins de traverse elle a dû emprunter.
Il faut faire preuve d’imagination et de réflexion pour se représenter ce monde, et avoir une lecture à deux niveaux, le récit d’une part (changeant de point de vue à chaque chapitre/nouvelle), le monde suggéré par les actions et réflexions des protagonistes d’autre part.
Verdict…

Si le résultat est éblouissant, je vous mets en garde : on est plus proche d’une oeuvre expérimentale, fort complexe à appréhender et difficile à suivre, que de l’équivalent littéraire d’un blockbuster avec ses héros, ses scènes épiques. On est ici dans une oeuvre infiniment plus subtile, qui ne se laisse pas dompter par le lecteur.
Je pense d’ailleurs qu’il me faudra une seconde lecture, au minimum, pour mieux saisir toutes les nuances des nouvelles composant l’Anamnèse.
Attention aussi à ne pas vous fier au premier chapitre, nécessaire à la mise en place des suivantes, mais qui n’en a pas la subtilité ou la richesse.
Note :
5/5

mardi 11 juin 2013

La chronique de Mélanie Fazi

http://reves-de-cendre.over-blog.com/article-hypasie-carver-et-les-autres-118408546.html

Ce qui fascine le plus dans ce roman, outre le mystère qui entoure cette figure centrale et son rôle dans la création de la bombe iconique, c’est la façon dont tout le roman se construit sur des silences, des allusions et des sous-entendus. Dans « Giessbach », repris ici tel quel, c’était déjà vertigineux sur la longueur d’une nouvelle ; le miracle se reproduit à l’échelle du roman. Le récit ose s’affranchir des pavés explicatifs qui plombent parfois les textes de SF : on fait constamment référence à des événements historiques de notre avenir, mais du point de vue intériorisé de personnages pour qui ils sont une évidence, et qui ne prendront pas toujours la peine de les expliquer. L’univers et la chronologie se construisent ainsi, en creux, avec un aplomb et une finesse remarquables. J’avoue que le roman m’a légèrement perdue dans sa dernière partie, pour les raisons mêmes qui m’avaient fait décrocher du Spin de Robert Charles Wilson il y a quelques années : l’effort de concentration nécessaire pour se projeter dans des mondes différents du nôtre m’est de plus en plus difficile, etAnamnèse y glisse doucement vers la fin. Mais la conclusion, pour être en partie prévisible, n’en est pas moins belle et triste à la fois, riche en sous-entendus et en implications possibles. Voilà un roman dont l’ambition, tant sur le fond que sur la forme, me laisse admirative. J’apprécie depuis longtemps la plume de Laurent Kloetzer mais j’avais pressenti en lisant « Giessbach » que quelque chose d'intense et de résolument hors norme se préparait. En voici la confirmation. Un grand roman, point barre.