jeudi 17 octobre 2013

Le vertige d'Ertemel

http://ertemel.blogspot.ch/2013/10/vertige-litteraire-anamnese-de-lady-star.html
« Anamnèse » vient, d’après le dictionnaire Larousse, du grec anamnêsis, « action de rappeler à la mémoire ». La mémoire, celle du lecteur comme celle de la science-fiction française, sera sans nul doute marquée en profondeur par la lecture d’ « Anamnèse de Lady Star » de L. L. Kloetzer. Ce roman nous rappelle l’infinie richesse offerte par la littérature de science-fiction et la littérature en général. « Anamnèse de Lady Star » est un champ ouvert d’idées, qui ne sont pas seulement inventives, innovantes, mais qui nous parlent aussi et nous touchent. « Anamnèse de Lady Star » est ce genre de roman où l’on se demande à chaque page comment un auteur a pu imaginer autant de concepts et d’idées. Le roman en foisonne tellement, et est d’une telle originalité, qu’il devient impossible à résumer. C’est aussi le genre d’œuvre qui semble ne pouvoir exister qu’en littérature, seul média assez complexe pour être capable de transmettre la construction mentale imaginée par son auteur.
Pour essayer d’évoquer ce dont parle le roman, il faut peut-être partir de son titre : il est effectivement question de mémoire dans « Anamnèse de Lady Star ». En simplifiant à l’extrême, le roman part d’un futur que l’on peut qualifier de « post-apocalyptique » où la Terre a été ravagée par une épidémie d’un nouveau genre, déclenchée par une bombe d’un type inédit. « Nouveau » et « inédit » m’empêchant ici de vous en dévoiler plus sur des idées qui le sont bel et bien (nouvelles et inédites). 51 ans après cet événement zéro appelé « Satori », c’est l’histoire d’une enquête, par une étudiante en archéologie, menée dans les comptes-rendus des procès de l’inventeur de la bombe et de ses collaborateurs. C’est l’histoire d’une traque, celle d’une femme mystérieuse, qui aurait été la muse de l’inventeur de la bombe. Parfois appelée Hypasie, c’est possiblement la « Lady Star » du titre. Des mystères, le roman en est plein, malgré (ou à cause de) la densité d’informations contenues par la prose de L. L. Kloetzer. Mais Hypasie reste le centre voire l’origine de ces énigmes. Cet insaisissable personnage est un vide au cœur de l’intrigue, tel un trou noir autour duquel tourne et s’engouffre tout le roman. Et le lecteur avec.
« Anamnèse de Lady Star » est une histoire qui se réinvente à chaque chapitre, qui mute sous les yeux du lecteur, jusqu’à ce que celui-ci se rende compte que cette histoire, qu’il lit par l’intermédiaire de la plume de L. L. Kloetzer, il en est aussi l’auteur. Cependant, « Anamnèse de Lady Star » n’est pas seulement une métaphore de l’acte de création littéraire, ou de la création tout court. On ne saurait non plus le réduire à une réflexion sur les univers fictifs, bien que le roman contienne les pages parmi les plus belles et émouvantes écrites à ce sujet. C’est aussi, comme tout vrai roman d’anticipation, une œuvre qui parle de notre présent et de la plus grande peur du XXIème siècle. C’est tout simplement d’une formidable intelligence.




Chronique du Papillon dans la lune


Commençons simplement. Première chose : mais enfin, c'est quoi une anamnèse ? (SourceWiktionary) :
  1. (Religion) Prière qui, dans la messe, suit la consécration et rappelle le souvenir de la rédemption.
  2. (Médecine) Ensemble des renseignements préliminaires qu'un patient fournit sur l'histoire de sa maladie.
  3. (Psychologie) Informations relatives au passé du patient recueillies par le psychologue. 
Lady Star est une Elohim. Elle n'existe que si on pense à elle, que si on la désire. Elle a été capable de donner forme et vie aux idées d'Aberlour (son maître ?), qui a inventé une nouvelle arme : la bombe iconique qui tuera une grande partie de la population lors du jour funeste du Satori. 90% des personnes touchées meurent, les survivants deviennent des Porteurs Lents rendus à la sauvagerie, contagieux et morts en sursis. Les rescapés n'ayant pas été en contact avec la bombe ou les survivants de la bombes vivent derrière des murs ou leur casque, condamnés à éviter tout contact (visuel, auditif, bref toute interaction) avec les malades.

C'est terrible cette bombe : elle empêche l'humain de communiquer tout simplement, le virus se transmettant à la moindre interaction avec le malade. La base des relations humaines est pour partie détruite. Il y a eu un procès, des coupables ont été désignés, mais où se trouve cette femme mystérieuse qui semble avoir rendu cette attaque possible (et donc reproductible) ? Il n'y a même aucune preuve qu'elle existe...

Excellent récit que celui de ce couple d'auteurs. Le mot inclassable est de mise. A la fois post-apo à cause de la bombe, polar pour l'enquête autour de Lady Star, fantastique par la nature même de cette Elohim, et tout cela s'accorde parfaitement dans ce roman prenant du début presqu'à la fin...

J'ai fait l'erreur de m'arrêter quelques jours, et j'étais beaucoup moins dedans, je vous recommande donc d'avoir un peu de temps calme devant vous pour le lire, surtout que j'ai trouvé la fin légèrement en-dessous des deux premiers tiers du roman.

Petite parenthèse : la couverture de Stéphane Perger bien sûr, à tomber par terre, ça ne change pas. 
cliquez pour agrandir

En résumé, Anamnèse de Lady Star de L. L. Kloetzer est un excellent thriller d'anticipation, mais il serait dommage de le réduire à cette case uniquement. Ce roman est parfaitement inclassable, c'est un post-apocalyptique dans lequel les éléments du récit se mêlent, tout comme les époques, les personnages même, pour le plus grand plaisir du lecteur concentré qui tentera de déchiffrer la trame de l'histoire. Je me laisserai bien tenter par Cleermaintenant.

La chronique d'Anudar

http://grandebibliotheque.blogspot.ch/2013/10/anamnese-de-lady-star.html

Après la corporate-fiction, les Kloetzer s'essayent donc au post-apocalyptique, la majeure partie d'Anamnèse de Lady Star se passant après la catastrophe désignée d'une façon assez ironique par le vocable Satori. Des jours terribles qui suivent l'attentat d'Islamabad, le lecteur ne saura presque rien hormis à travers le témoignage ironique et moqueur de l'homme qui a déclenché la bombe - le seul, peut-être, à être immunisé contre ses effets : ce qui intéresse les auteurs, bien sûr, c'est la traque de la compagne/muse d'Aberlour. Une traque menée, un demi-siècle après le Satori, par une jeune chercheuse dont les hypothèses révolutionnaires vont amener - peut-être - ses chefs à fermer la boîte de Pandore une bonne fois pour toutes. Une traque de l'ère numérique, où les intelligences artificielles et autres moteurs de recherche deviennent les adjuvants nécessaires d'une quête qui ne dit pas son nom, parce que Magda et ses supérieurs ne sont, somme toute, rien d'autre que des paladins cherchant à mettre à jamais l'espèce humaine à l'abri de l'horreur qui l'a déjà frappée une fois. Ainsi les Kloetzer, à travers quelques références - par exemple aux méthodes Karenberg - mais aussi à travers une démarche typique font-ils le lien avec la post-fantasy de Cleer, sans toutefois se heurter à l'écueil de l'auto-citation intempestive.

Explorant tout d'abord les racines et les premiers surgeons du Satori, Anamnèse de Lady Star apparaît dans un premier temps comme un roman très dynamique et d'une extrême solidité interne. Cette idée d'une bombe mémétique, frappant la conscience humaine, et dont les effets sont transmissibles d'un sujet à l'autre - y compris à travers des supports tels que la télévision, par exemple ! - a quelque chose de vertigineux. Les esprits tatillons pourront, bien sûr, questionner la cohérence de l'invention et se demander, par exemple, comment le Satori a pu laisser des survivants si même les Porteurs Lents sont contagieux ? Il n'empêche : l'idée me semble si neuve, si originale, qu'il est d'autant plus facile de renoncer à de trop simples critiques pour se laisser couler dans le fil d'une histoire où le passé répond au présent de l'enquête.

Et puis... et puis... arrive le dernier quart du roman, et voilà que se dissipent en quelques pages toute la créativité, toute l'ingéniosité, toute l'originalité, en un mot toute l'intelligence des trois premiers. On a presque l'impression que les auteurs, d'un coup, se lassent de leur oeuvre. A l'enquête fébrile où le passé vient éclairer le présent, et le présent éclairer le passé, se substitue un étrange magma verbeux bien peu compréhensible, duquel surnagent quelques indices qui suggèrent, peut-être, que ce monde n'est rien d'autre qu'une vaste simulation informatique, avec ses simulations dans la simulation, comme dans les passages les plus fumeux de Matrix. Mais quel dommage ! Quel gâchis ! Une conclusion en queue de poisson, à moins qu'il ne s'agisse d'un clin d'oeil à celle de Cleer, vient achever ce tableau d'un livre qui n'aura tenu presque aucune de ses promesses. Il y avait matière à fonder ici une véritable SF mémétique, en poursuivant le mouvement innovant esquissé dans Cleer ; il y avait matière à questionner l'émergence de modalités de contacts sociaux immuns à la transmission de l'épidémie mémétique et donc d'aborder la problématique post-humaine d'une façon très originale : c'est donc en toute logique fort déçu que je tourne la dernière page de ce livre, et déterminé à passer à autre chose...

vendredi 23 août 2013

La chronique de Phil Becker sur ImaginR

http://imaginr-chroniques.blogspot.ch/2013/08/anamnesede-lady-star-connu-son-petit.html

Anamnèse de Lady Star a connu son petit buzz dans les cercles du fandom SF.

L’auteur français L.L. Kloetzer qui est en réalité un couple, le succès de leur ouvrage précédent Cleer, le titre, la couverture sublime et les premières rumeurs sur le scénario avaient déjà commencé à rendre l’ouvrage envoûtant.

Anamnèse de Lady Star est un roman exigeant et paradoxal : il demande à la fois une attention de tous les instants et un laisser-aller dans le cours d’une histoire qui se dévoile doucement.

Anamnèse, c’est d’abord un contexte. Nous sommes dans un futur proche, quasi contemporain. Parmi nous vivent les Elohim, des êtres à l’apparence humaine, mais éthérés, évanescents, capables de bonds dans l’espace et le temps. Extra-terrestres ? Ce n’est jamais vraiment précisé. Ils ne vivent que de l’attention qu’on leur porte. Ignorés par les hommes, ils disparaissent.

C’est dans cette univers que la pire arme de destruction massive est inventée dans le but d’éliminer des races entières : la bombe icônique. Il s’agit de symboles visuels qui contaminent celui qui les aperçoit. Et voir un contaminé suffit à devenir soi-même porteur de ce virus qui ravage alors la planète. On peut en mourir immédiatement ou devenir un porteur lent. Une guerre est à demi évoquée, où les soldats portent des casques brouilleurs pour ne pas voir les symboles.
Le livre aurait pu avoir la facilité de raconter cette histoire passionnante de manipulation par idéogrammes. Mais non, le récit évolue quelques dizaines d'années après le Satori, le lancement de la bombe.

Anamnèse de Lady Star raconte la recherche, par des survivants de la catastrophe, des dernières traces de la bombe. Pour que ça n’arrive plus jamais. Pour éliminer quiconque détiendrait encore le secret de l’arme icônique.
Le livre se découpe alors en rencontres, en rapports, en reconstitutions du passé via simulations. Le tout forme une vaste enquête à travers tout ce qui reste du Satori. Et toutes ces personnes interrogées – soldats, notables, inconnus – ont un point commun. La présence d’une femme, une Elohim aux noms et identités multiples : Nomen Rosae, Kirsten Lie, déesse Norn. Jamais présente, toujours là. On déduit son existence, on devine sa simple influence et l’écriture de L.L. Kloetzer devient un jeu subtil. La nasse se resserre : il faut la retrouver, la tuer. Elle est ce qui reste de la bombe. A moins qu’elle ne veuille qu’on la trouve, que ce soit l’enquête par elle-même qui la fasse exister.

Avec son ordre déstructuré et non chronologique, sa puissance mystique et cet art de ne pas tout dire, le lecteur a le sentiment qu’il manque une partie de l’histoire, qu’il y a bien plus derrière les lignes. C’est peut-être le reproche que l’on pourrait faire à l’ouvrage. Mais c’est en même temps sa force, cette impression d’ensemble flou, ces jeux d’identités et de vérité. Car chaque témoignage, chaque souvenir est suivi du doute : qui a menti, qui a manipulé la source numérique ou le souvenir ? Sans oublier quelques passages forts que l’on traverse comme on traverse un rêve. Cet hôtel savoyard où un gardien au cerveau lavé garde les sarcophages de pontes du Satori en jouant du jazz seul dans le grand salon, ou cet univers virtuel, Assur, jeu vidéo sans but ni instruction qui n’est que le reflet de la conscience de ceux qui s’y connectent.

Anamnèse de Lady Star, c’est le post-apocalyptique sans désert, ni mutants, ni survie. C’est le post-apocalyptique de la conscience.

lundi 29 juillet 2013

Sur le blog.o.livre

http://www.blog-o-livre.com/anamnese-de-lady-star-l-l-kloetzer/

Je dois bien avouer qu’après un excellent premier roman, Cleer, nous offrant une histoire fascinante, magique, pleine de poésie et nous proposant une immersion onirique et fantastique dans l’univers d’une multinationale possédant  son lot de surprises (Ma chronique deCleer ici), j’avais hâte de voir ce qu’allait bien pouvoir nous proposer les auteurs dans leur nouveau roman. De plus je trouve le concept de la couverture de ce livre vraiment envoutant et efficace, ce qui ajoute un certain attrait au livre.
Le premier chapitre de ce roman va pourtant légèrement me dérouter, pas que j’ai eu du mal à entrer dans l’histoire, loin de là, juste que je ne comprenais pas bien où me menait clairement les auteurs. Puis plus j’avançais dans ce patchwork de témoignages, tous plus ou moins gravitant autour du Satori et de cette muse, plus je me suis senti fasciné par cette histoire et cela pour plusieurs raisons. La première vient déjà de cette traque de Lady Star qui se révèle passionnante  et impressionnante à travers les différents témoignages qui nous sont rapportés.
Rien n’est laissé au hasard, que ce soit dans l’évolution du récit comme dans la construction, et le tout possède une fluidité entrainante au fil des pages pour peu qu’on se laisse porter par le récit qui se révèle bien mené avec son lot de surprises et d’énigmes. Mais surtout on se trouve emporté par le personnage de Lady Star et ses multiples personnalités, chaque témoignage se rapporte à un moment ou à un autre à ce personnage qui se révèle d’une complexité et d’une densité dans sa construction parcellaire qu’on se retrouve fasciné à chaque nouvel élément, chaque bride d’information.
Ensuite ce qui m’a aussi passionné dans ce texte c’est sa construction qui est loin d’être linéaire à travers chacun de ces témoignages, en effet chaque passage, chaque déclaration se révèle être un morceau du puzzle, de l’intrigue, que le lecteur va devoir remettre en place. C’est en fait ce travail entre le l’écrivain et le lecteur qui m’a vraiment plu, le fait que le lecteur ne soit pas au final qu’un spectateur mais qu’il doit ainsi ajuster les différentes parties du casse tête pour bien tout comprendre, tout assimiler.
Ajouter à cela un travail des auteurs sur notre époque, un récit qui ouvre vraiment à réflexion sur énormément de sujets que ce soit la religion, le terrorisme, le pouvoir, les réseaux sociaux, le travail sur la mémoire ou encore sur le fait que pour se considérer « visible » on dépend des autres, de leurs regards, leurs envies , leurs fascinations. Mon seul petit regret dans l’histoire, et encore, c’est les passages un peu « zombie » que j’ai trouvé légèrement décalé dans cette histoire, mais rien de bien dérangeant au final.
Concernant l’univers mis en place par les auteurs il est tout aussi fascinant à découvrir et à imaginer. Mais voilà, il ne se laisse pas capter facilement vu qu’il se révèle être une évidence pour tous les personnages, que ce soit les points de vues sociaux, technologiques ou sur les évènements, il n’est donc pas explicité de façon méthodique et linéaire, mais plutôt morcelé, où le lecteur va devoir s’approprier à sa sauce cet univers. C’est à double tranchant soit le lecteur aime faire travailler son esprit et il se retrouve fasciné, soit il préfère se faire guider de façon claire et il risque de se sentir perdu dans ce roman. Dans tous les cas moi j’ai trouvé ce monde futuriste vraiment intéressant, dense, soigné et surtout qui laisse facilement libre court à l’imagination, à la fantaisie même si cela reste dans une certaine limite. Un univers pleinement SF avec ses êtres d’une autre planète et plus on avance dans le récit, plus les auteurs ouvrent les facettes de la possibilité d’autres mondes, mais je vous laisse découvrir.
Concernant les personnages comme je l’ai déjà dit Lady Star, même si elle est souvent au second plan, se révèle un personnage important et fascinant comme dans sa simple quête au final d’être vue, reconnue et à minima aimée. C’est une Elohim et elle a obligatoirement besoin des autres ce qui se ressent fortement à travers les différents témoignages. Mais voilà il n’y pas que Lady Star dans ce roman, tous les autres personnages qu’on retrouve dans ce roman se trouvent être soit passionnants, soit intéressants et tous se révèlent complexes et denses avec leurs souffrances, leurs besoins et leurs envies. Chaque personnage offre aussi un point de vue différent, une nouvelle approche de ce monde futuriste qu’on découvre, mais aussi de cette société qui survit du mieux qu’elle le peut suite à la catastrophe. Des personnages qu’on aime ou qu’on déteste, mais qui dans tous les cas ne laissent pas indifférent le lecteur.
La plume des auteurs se révèle vraiment dense, travaillée voir même limite sophistiquée, dans le bon sens du terme, mais possède aussi une certaine magie, une certaine poésie  dans la façon de mettre en avant son récit, de le présenter. Une plume plaisante mais qu’il faut, certes, parfois apprivoiser. Au final j’avoue que j’ai adoré la lecture de ce livre à travers cette fresque de témoignages qui nous font réfléchir sur énormément d’aspects avec en ligne de fond la traque d’un personnage emplie de mystère et de fascination. Un roman qui se savoure, lentement, au fil des pages et des témoignages; un roman qui se découvre. Mais voilà il faut aussi bien le mettre en avant ce livre n’est pas non plus un livre facile d’accès, chacun devra se faire son avis, car à travers ces pages il y a autant un travail d’écriture qu’un travail de lecture qui doit être réalisé pour visualiser au mieux cette fresque, cette intrigue. Moi je n’ai pas du tout été déçu de ma lecture et je lirai sans soucis les autres romans des auteurs.

vendredi 19 juillet 2013

Un essai très riche de Joseph Altairac

http://www.actusf.com/spip/L-expresso-de-l-Oncle-Joe-7.html

Extrait.

Le monde existe : la preuve, il possède une chronologie.
Ce n’est pas une remarque anodine. « Anamnèse de Lady Star  » s’ouvre sur cette chronologie, garantissant que tout ce qui raconté — vrai ou faux, correctement ou incorrectement interprété — court sur une durée de 62 ans, entre -18 et +54, le 0 correspondant à l’« Attentat d’Islamabad », déclencheur du « Satori », la « pandémie terrifiante », comme il est dit en quatrième de couverture. Ce n’est pas un remarque anodine, car il serait alors trop facile, et surtout bien dommage, de se débarrasser de l’ensemble des problèmes à la fois crispants, obsédants, horripilants et passionnants que soulève le roman — ou que l’on se fabrique soi-même par dessus le marché en cours de lecture —, en décrétant que tout ceci ne serait que l’immense hallucination d’un des personnages, ou une sorte de synthèse onirique des hallucinations de plusieurs personnages : des rêves et des hallucinations, ce n’est pas ce qui manque dans « Anamnèse de Lady Star », mais cette chronologie, exposée avant même la page de titre — je refuse de savoir que c’est un procédé de l’éditeur, qui pratique de manière similaire avec d’autres romans de statuts tout différents —, entérine l’existence formelle de l’univers de référence, avec ses principes, ses invariants, sa charte implicite, sur lesquels se projette le drame. Exit l’échappatoire facile, si l’on veut chroniquer « Anamnèse de Lady Star », il faut loyalement accepter le risque de s’y casser les dents.

(...)

L’énigme des Elohims

Dès le premier témoignage, celui de Callixte Longtun, Hypasie, qui s’appelle encore Kirsten Lie, est présentée comme une « Elohim » :

«  Callixte n’a jamais cru au Contact, comme tout catholique éduqué il est très soupçonneux dès qu’il entend parler d’un miracle. […] Il avait une vingtaine d’années quand tout a commencé, il pensait que la mode extraterrestre serait vite passée ; sur ce point, il admet s’être trompé.
Dans les discussions il faisait partie des sceptiques, des méfiants. Le phénomène a enflé, il y a eu l’Agora, les résurgences, les témoignages de plus en plus nombreux de la présence des autres, ceux qui ne sont pas nés d’une femme. Un sociologue quelconque l’a constaté : nous sommes maintenant tous à moins de trois degrés de séparation de l’un d’entre eux. Mais, même mis en présence d’un fils des étoiles, la plupart des gens continuaient à croire à un complot américain/chinois/saoudien. Comment croire à des étrangers si semblables ? Qui nous connaissaient si bien ? Comment expliquer que si peu de choses ait changé depuis leur apparition, sinon par le fait évident que l’ensemble de cette histoire relevait d’une forme d’illusion collective ? L’Agora est devenu un lobby influent, […], on a parlé d’utilisation militaire des capacités métacognitives des fils des étoiles, quelques mythes du surhomme ont été réactivés. La fusion de la minorité Elo dans la société a surtout entraîné le développement des publicités invasives, des théories du Gestalt, des tenant de la déconnexion totale et des arcs narratifs de nombreux soap de qualité. Un peu de fiction se rependait dans le monde réel, comme toujours. Et les revendications sociales des Elo et de leurs amis sonnaient tout aussi creux que celles des clans gays et lesbiens, quelques décennies plus tôt.
On ne pouvait toutefois plus ignorer leur présence. […] Il essaie de comprendre quelque chose aux théories du swap, à l’imprégnation mimétique, à tous les phénomènes hypnotiques entourant les fils des étoiles. […] 
 »
« Imprégnation mimétique  », «  phénomènes hypnotiques  », voilà qui colle bien à l’énigmatique Hypasie/Kristen Lie, styliste et maîtresse du professeur Abelour, mais la qualifier d’« Elohim », c’est expliquer une énigme par un mystère… Cependant, à ma première lecture, une expression m’a immédiatement frappé : « fils des étoiles  », qui s’est instantanément transformée en « enfants des étoiles », comme chacun sait le titre d’un roman de H.G. Wells, publié en 1937 et traduit en français en 1939… Je me permets de me citer moi-même, en recopiant un extrait du petit guide «  H.G. Wells, parcours d’une œuvre » (Encrage, 1998) qui résume le roman :

« L’historien Joseph Davis est saisi d’une sourde inquiétude. Sa femme, enceinte, lui paraît avoir un comportement étrange. Et une puissance extraterrestre, des Martiens peut-être, tentait de modifier, de « martianiser » l’espèce humaine, en bombardant les chromosomes humains au moyen de rayons cosmiques ? Ce serait la plus subtile des invasions. Certains indices laissent à penser que cette idée n’est pas si fille que l’on pourrait le croire, et la curieuse obsession de Davis contamine quelques penseurs qui l’interprèteront à leur manière.[…] Ce dernier scientific romance est surtout prétexte à philosopher sur l’avenir de l’humanité, mais l’idée de base reste fascinante. […]  »

Une seconde référence m’est venue à l’esprit, mais moins rapidement, car je ne connais guère le dossier : celui des prétendus « enfants indigo », bizarre mouvement New Age initié dans les années 70-80 du XXe siècle et popularisé par le nombreux écrits d’un couple d’illuminés, Lee Carroll et Jan Tober : des enfants naîtraient de temps à autre avec des caractéristiques psychologiques — et parapsychologiques — particulières, qui les désigneraient comme une nouvelle étape de l’évolution de l’humanité. Lee Carroll et Jan Tober étant des adeptes convaincus du « channeling  », prétendu procédé de communication télépathique avec des entités surnaturelles ou extraterrestres, tout se tient… H.G. Wells aurait sûrement été surpris de voir ainsi bizarrement déformée et factualisée une de ses idées ! L.L. Kloetzer, en créant les « Elohims  », a réalisé une habile fusion des « Star Begotten » wellsiens et des «  star children  » du New Age. On y voit donc un peu plus clair, mais on ne saura pas, dans « Anamnèse de Lady Star  » si la qualité d’« extraterrestre  » d’Hypasie, comme des autres « Elohims  », doit être prise au pied de la lettre. Au lecteur d’interpréter. Hypasie conservera en tout cas tout un long du récit un caractère que l’on pourrait qualifier de numineux. Sans excès, cependant : que les sensibilités matérialistes se rassurent.

(...)

Le reste ici:

jeudi 27 juin 2013

Chronique de Georges Bormand sur Phenixweb

http://phenixweb.net/KLOETZER-L-L-Anamnese-de-Lady

S’il était encore nécessaire de prouver de manière irréfutable que la science-fiction n’est pas une littérature « de genre » ou un « genre littéraire », mais un MODE d’écriture littéraire (élargissement des règles et introduction de règles supplémentaires), ce roman, après Cleer dont la qualification de « fantasy corporate » n’était pas davantage un classement dans une forme existante, en serait une preuve que ne peuvent ignorer que les illettrés, au nombre desquels tous les académiciens et critiques établis qui nient la science-fiction. Et il est tout à fait inutile de faire appel à un prétendu « transgenre » pour lui reconnaître les qualités littéraires incontestables de cette œuvre, c’est de la pure science-fiction, puisqu’il s’agit d’une anticipation, d’un récit post-apocalyptique, avec en plus des extraterrestres qui vivent parmi nous, les Elohim.

Donc, dans ce monde futur où existent ces Elohim, surhumains, la catastrophe révélatrice (l’Apocalypse, ici rebaptisée à l’aide du terme japonais équivalent de Satori, éveil spirituel) a eu lieu : un attentat commis à l’aide d’une « bombe iconique » à Islamabad a déclenché une pandémie qui a atteint, bien au-delà des ethnies visées, la totalité de l’humanité, a fait disparaître les trois quarts de la population par destruction complète de leurs capacités mentales et perdure à cause de « porteurs lents » qui ont la maladie et peuvent la transmettre par simple contact visuel, mais survivent néanmoins.
Alors les survivants non infectés essayent de reconstruire un monde nouveau. Un monde doté de technologies encore plus développées, de la possibilité de départ vers d’autres mondes, mais toujours soumis à la menace des « porteurs sains », qui vivent en sauvages à l’extérieur des cités protégées par gardes et technologies et aussi à la menace d’une répétition de la catastrophe. Aussi, soupçonnant que le procès des responsables de l’attentat n’a pas permis de refermer la boîte de Pandore qu’ils avaient ouverte, et que certains ont pu s’échapper, un petit groupe de traqueurs qui s’intitulent Vergiss mein nicht ou Mémoire, revisite les rapports, revoit les témoins, à la recherche d’une « muse » du groupe de savants et de militaires qui ont préparé l’attentat. Probablement une « Elohim » qui est apparu sous différents noms, tous plus significatifs, Kirsten Lie l’artiste, Nomen Rosae l’avatar informatique, Hypasie la servante...

Cette quête nous est contée à travers les témoignages, parfois mensongers, parfois évolutifs au fur et à mesure des questions posées par les chercheurs, des différents acteurs. Et comme les récits se répartissent entre la préparation du Satori et les différentes rencontres avec l’Elohim recherchée, sur une période qui va jusqu’à cette traque 53 ans après le Satori, comme les différents récits sont écrits de manière différente suivant la personnalité du narrateur, et comme les sous-entendus, ou le choix des termes, jouent un rôle important dans le roman, nous avons un roman difficile et exigeant. Et qui constitue un nouveau sommet de la littérature (en mode SF)...

Mais nous étions prévenus dès le titre : qu’est-ce donc que cette anamnèse ou absence d’amnésie (le dictionnaire veut rendre le terme équivalent à mémoire, mais la double négation demanderait plutôt à traduire « absence de refus de la mémoire ») ? Et ce refus de l’oubli est bien indispensable, sous peine que celle qui a ouvert la boîte de Pandore ne recommence...

jeudi 13 juin 2013

Sur le studio imaginaire


Ahhh, Laurent Kloetzer. L’un des derniers auteurs dont je puisse acheter le livre sur son seul nom, sans me soucier une seconde du sujet, du genre (et donc pas besoin de commettre ce geste sacrilège qu’est la lecture de la 4ème de couv, qui comme d’hab, révèle la moitié du synopsis).
Pour les impies, Laurent Kloetzer est avant tout l’auteur de « Mémoires vagabondes », ouvrage de fantasy basé sur le personnage de Jaël de Kherdan, écrivain bretteur et libertin, dont j’aurai l’occasion de reparler puisqu’on le retrouve récemment, dans le recueil « Petites morts ».
En 2011 paraissait « CLEER, une fantaisie corporate », co-écrit avec son épouse Laure, qui se distinguait des précédents par une écriture plus sophistiquée voire alambiquée (à la Dantec), résolument plus moderne (on se situe dans un futur proche), et s’adressant, à mon sens, à des lecteurs dotés d’une culture assez solide.

Même phénomène ici, « Anamnèse de Lady Star » annonce la couleur dès la couverture : il faut de la culture, beaucoup d’imagination et de concentration pour suivre !
C’est qui, Lady Star ?

Comme pour ses trois derniers ouvrages (depuis l’excellent « Royaume blessé », en fait), Kloetzer écrit sous forme d’une succession de nouvelles pouvant théoriquement se lire séparément.
Les récits, placés à des époques successives mais avec de multiples changements d’époque (parfois d’un paragraphe à l’autre), présente les différentes traces laissées par l’insaisissable Lady Star, personnage sans âge, sans nom, dont l’auteur nous laisse juger qui elle est et ce dont elle est responsable… Notez que je ne l’appelle Lady Star qu’en raison du titre, ce nom n’apparaissant pas dans le texte.

Car la grande question, c’est de bien de retrouver les « responsables » : la toile de fond du roman, c’est une sorte d’apocalypse, l’anéantissement des trois quarts de l’humanité par une bombe/virus de conception humaine. Et Lady Star y est mêlée, mais comment le prouver et comment connaître son rôle quand son existence même ne cesse d’être remise en question ?
Le futur techno-apocalyptique de Lady Star

Le grand oeuvre du couple Kloetzer, outre ce style d’écriture incisif, subtil, parfois cryptique, où chaque mot peut peser autant qu’une phrase, c’est l’immense toile de fond sur laquelle se déroule le récit, sur plusieurs décennies. Sans jamais décrire les évènements où le monde, de façon complètement indirecte, ils brossent un monde vivant de technologies futuristes, nous font comprendre comment l’humanité a survécu, quelles horreurs elle a connues, quels chemins de traverse elle a dû emprunter.
Il faut faire preuve d’imagination et de réflexion pour se représenter ce monde, et avoir une lecture à deux niveaux, le récit d’une part (changeant de point de vue à chaque chapitre/nouvelle), le monde suggéré par les actions et réflexions des protagonistes d’autre part.
Verdict…

Si le résultat est éblouissant, je vous mets en garde : on est plus proche d’une oeuvre expérimentale, fort complexe à appréhender et difficile à suivre, que de l’équivalent littéraire d’un blockbuster avec ses héros, ses scènes épiques. On est ici dans une oeuvre infiniment plus subtile, qui ne se laisse pas dompter par le lecteur.
Je pense d’ailleurs qu’il me faudra une seconde lecture, au minimum, pour mieux saisir toutes les nuances des nouvelles composant l’Anamnèse.
Attention aussi à ne pas vous fier au premier chapitre, nécessaire à la mise en place des suivantes, mais qui n’en a pas la subtilité ou la richesse.
Note :
5/5

mardi 11 juin 2013

La chronique de Mélanie Fazi

http://reves-de-cendre.over-blog.com/article-hypasie-carver-et-les-autres-118408546.html

Ce qui fascine le plus dans ce roman, outre le mystère qui entoure cette figure centrale et son rôle dans la création de la bombe iconique, c’est la façon dont tout le roman se construit sur des silences, des allusions et des sous-entendus. Dans « Giessbach », repris ici tel quel, c’était déjà vertigineux sur la longueur d’une nouvelle ; le miracle se reproduit à l’échelle du roman. Le récit ose s’affranchir des pavés explicatifs qui plombent parfois les textes de SF : on fait constamment référence à des événements historiques de notre avenir, mais du point de vue intériorisé de personnages pour qui ils sont une évidence, et qui ne prendront pas toujours la peine de les expliquer. L’univers et la chronologie se construisent ainsi, en creux, avec un aplomb et une finesse remarquables. J’avoue que le roman m’a légèrement perdue dans sa dernière partie, pour les raisons mêmes qui m’avaient fait décrocher du Spin de Robert Charles Wilson il y a quelques années : l’effort de concentration nécessaire pour se projeter dans des mondes différents du nôtre m’est de plus en plus difficile, etAnamnèse y glisse doucement vers la fin. Mais la conclusion, pour être en partie prévisible, n’en est pas moins belle et triste à la fois, riche en sous-entendus et en implications possibles. Voilà un roman dont l’ambition, tant sur le fond que sur la forme, me laisse admirative. J’apprécie depuis longtemps la plume de Laurent Kloetzer mais j’avais pressenti en lisant « Giessbach » que quelque chose d'intense et de résolument hors norme se préparait. En voici la confirmation. Un grand roman, point barre.

dimanche 26 mai 2013

La lecture d'Alias

http://alias.codiferes.net/wordpress/index.php/anamnese-de-lady-star-de-l-l-kloetzer/

Cela dit, au final, j’ai trouvé dans Anamnèse de Lady Star un très bon bouquin de science-fiction, sur des thèmes peu courants et pas évidents à traiter. Ambitieux, sans doute; trop, peut-être. Il est peut-être un ton en-dessous de Cleer en ce qu’il me paraît plus décousu et moins immersif, mais cela ne m’empêchera pas de le recommander aux amateurs de science-fiction atypique.

Efelle a lu l'Anamnèse....

... et vu certains des liens avec d'autres livres.

http://efelle.canalblog.com/archives/2013/05/25/27240066.html

Sa théorie des déclencheurs et des assonances profondes trouvait ici un auditoire fasciné parce que capable d'envisager une mise en application directe de ses idées de dingue : transformer la culture d'un peuple de l'intérieur par une révision de ses fondamentaux psychoculturels. Un rêve de psychopathe : et si on commençait par réinitialiser tous les emmerdeurs en modifiant leurs idées sans même qu'ils s'en aperçoivent ? Calmons les énervés, apaisons les esclaves, et convainquons tous nos immigrés clandestins de se rendre dans les camps de refoulement. Mais bien sûr.
Un scientifique à la pointe d'une discipline révolutionnaire, un officier dément et surtout une Elohim. Entité étrange, vaporeuse, vivant de l'attention qu'on lui porte, à la fois muse, esclave et protectrice des deux premiers... Les années passent, le projet est violemment annulé. Quelques disciples et barbouzes échappent à la purge, permettant le Satori, une bombe iconique censée éradiquer les cultures musulmanes. L'efficacité de l'attentat échappe à tout contrôle, une pandémie à base de symbolique envahit tous les médias, balaye l'humanité et persiste au travers de porteur lents, sauvages à l'espérance de vie courte...

Les nations s'effondrent, le monde change, quelques enclaves subsistent, tentant de reconstruire une société en orbite et de sauver les populations en hibernation...

Je me suis tenue longuement devant le miroir ce matin. J'y étais telle que dans votre regard. Croyez votre coeur, votre mémoire, vos sentiments, vous m'avez vue, cher Jamie, telle que je suis en moi-même. Pardonnez mes tromperies et mes artifices.

Ne vous sentez pas obligé de me cacher. Je sais que la jeune femme vous a contacté, qu'elle a su vous toucher, à raison. Elle m'est précieuse elle aussi, j'ai besoin d'elle, de son attention, mais elle ne le sait pas encore. Dites-lui de moi ce qui conviendra, vous avez toute ma confiance. Plus tard, quand le temps sera venu, je lui parlerai, je lui offrirai des énigmes et des mystères.


Dans la première décennie qui a suivi le Satori, histoire de mettre fin aux conflits, une commission d'enquête à chercher à comprendre les faits, identifier les coupables, les traquer et juger... Trente ans plus tard, la traque continue à travers l'exploration d'archives. Travail de fourmis, au résultat aléatoire et ayant mené parfois à des opérations commandos. Une proie leur échappe encore : la muse. Hypasie, Nomen Rosae, Marguerite, Hécate, nombre d'identités et d'apparences qui mène à douter de l'existence de cette Elohim, pourtant impliquée dans le plus crime que l'humanité ait connue.

Elle veut qu'on la cherche, Christian, elle nous raconte une histoire. Pas un de ces scénarios où tout s'arrange, où chaque point répond à une question, non, elle nous raconte une histoire vraie, faite de témoignages contradictoires, de balbutiements, de rêves, faite de ce que nous sommes et de ce que nous aurions aimés être. Et chaque élément que nous découvrirons complétera l'image et la contredira, ouvrira de nouvelles portes, pour que nous continuions à travailler, à avancer dans le labyrinthe, à penser à elle. Elle a besoin de nous, elle a besoin que nous la cherchions à jamais.


Narration éclatée, couvrant sur plusieurs décennies l'élaboration d'un cauchemar et la pénible reconstruction qui s'en suit, avec pour fil rouge une créature équivoque, manipulée et manipulatrice, victime et bourreau.

Le récit est habile, relevant à la fois du puzzle, du labyrinthe et de la mystification, se permettant quelques clins d'oeil au passage (tant à des monuments de la SF, qu'à Yirminadingrad, aux premières armes de Laurent Kloetzer ou du couple) : varié, prenant, captivant malgré quelques longueurs sur la fin. L. L. Kloetzer signent ici, une oeuvre puissante, fascinante, qui marque durablement. Une réussite indéniable.

vendredi 24 mai 2013

L'avis du Naufragé Volontaire

http://naufragesvolontaires.blogspot.ch/2013/05/anamnese-de-lady-star-ll-kloetzer.html

Si j'ai découvert avec plaisir le couple Kloetzer au travers de la nouvelle "Trois singes" présente dans "Retour sur l'horizon", je n'ai hélas pas encore lu "Cleer" qui a reçu le Prix Planète SF en 2011. Il fallait bien que je me rattrape sur l'actualité en lisant "Anamnèse de Lady Star" dont la quatrième de couverture annonçait un roman plus qu'intéressant.

Cette quatrième de couverture met en avant l'attentat iconique, celui-ci n'est qu'une brève partie de l'histoire, l'occasion de lancer une enquête autour d'un personnage étrange, un être aux noms multiples : Kirsten, Nomen Rosae, Hypasie ou encore Marguerite. Mais qui est-elle? Voilà ce que l'enquête essaye de déterminer. Ce que l'on sait, c'est que c'est une Elohim, un être venu des étoiles. Le récit nous apprendra que cet être n'existe que par l'attention que l'on lui porte, que parce que l'on croit en elle. En hébreu, Elohim signifie Dieu. Faudrait-il voir en elle un être presque divin? Un être qui, comme les dieux, existe uniquement parce que l'on croit en eux. Qu'ils disparaissent quand la foi s'évanouit?
Dans ce futur incertain, les humains et ces extra-terrestres d'Elohim cohabitent. Les uns, inspirés par les autres. Dans un décor très post-apocalyptique, celui de l'après Satori, on suivra cet être étrange aux noms multiples, souvent indirectement, soit au travers d'un personnage qui l'a rencontré, soit au travers d'une personne qui fait des recherches sur elle. Si l'on enquête sur elle, c'est parce qu'elle a pris part au Satori, cet événement terroriste qui a lancé une pandémie par l'explosion de la bombe iconique. Une maladie qui se transmet de manière bien étrange : un simple contact visuel!
Un récit qui se promène entre réalité et fantasme, entre passé et présent, entre reconstruction du passé et traque d'un être qui n'existe que par le regard des autres, tout en se dérobant continuellement à ceux-ci.
Un être qui ne disparaît donc jamais, un être qui se réincarne par le simple fait d'y penser. Un être que tout le monde cherche, la clé du Satori, une femme qui se dérobe à toute approche, un être étrange, fait de réalité et de fantasme.

"Anamnèse de Lady Star" est un livre qui demande de l'attention. Densité de l'histoire, densité du récit et des personnages. Une densité qui peut fatiguer mais qui titille les neurones et la curiosité du lecteur., forcant celui-ci à s'immerger dans le récit plutôt que de lire de manière passive. Le roman construit par L.L. Kloetzer n'est pas un bête divertissement. Le récit est lui-même construit de manière non-linéaire, mais là n'est pas la complexité. Chaque pièce du puzzle de cette enquête est liée aux autres, imbriqué dans les autres parts du récit créant un corpus cohérent bien ficelé. Au niveau du style, les phrases sont généralement courtes et incisives donnant un rythme particulier au récit. Un style percutant mais qui demande une lecture attentive, notamment par les néologisme et le cadre déstabilisant. Néanmoins, le phrasé peut changer d'un chapitre à l'autre, variant en fonction des personnages, incitant ainsi le processus immersif dans un récit très psychologique.

"Anamnèse de Lady Star" n'est donc pas un livre facile d'accès. C'est un livre exigeant de par son récit qui demande une attention continuelle. Ce ne sera donc pas le roman de l'été qui vous déliera les neurones, mais bien un roman qui vous éblouira si vous êtes disponible et réceptif au moment de sa lecture. Un roman qui rebutera certains lecteurs, avec raison, par son côté hermétique, mais qui en émerveillera d'autre de par son ampleur et son travail littéraire.

Bref "Anamnèse de Lady Star" est un livre qui divisera les lecteurs. Et c'est pour moi un bon signe! Un livre qui vaut le détour pour qui est prêt à s'immerger. Un roman exigeant comme un "Tous à Zanzibar" de John Brunner ou "L'usage des armes" de Iain M. Banks, trop peut-être. Un livre dont les points clés sont : la complexité de l'histoire, le processus narratif, la plume des auteurs et le côté psychologique du récit. Je termine donc ce roman assez conquis mais avec quelques réserves car je pense que cela restera un roman difficile, d'une lecture pas toujours facile...

mardi 21 mai 2013

Vertigineux -- sur parutions.com

http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=374&ida=15655

Tout commence avec la fin du monde, un fin inattendue, terroriste, qui voit les 3/4 de la population mondiale disparaître, la conscience cramée par une bombe d’un nouveau genre, une «bombe iconique». Et – cocorico douteux – ce sont des terroristes français qui sont à l’origine de sa conception comme de son utilisation, un truc particulièrement vicieux en ce que ses effets demeurent contagieux sur le long terme...

Une cinquantaine d’années plus tard, dans un monde renouvelé, mais qui se relève lentement, et s’est, entre-temps, réfugié dans les étoiles et dans les univers virtuels, une organisation secrète singulière, Vergiss mein nicht, traque les divers auteurs de l’attentat, et particulièrement la muse terroriste. Car la bombe procède d’une réflexion à la fois militaire et esthétique, et il a donc fallu une muse pour en catalyser et, dans une certaine mesure, en sublimer la puissance mortelle. Or cette muse est du genre ineffable : dans ce présent alternatif, des êtres venus des étoiles, les Elohim, ont fait leur apparition, des êtres qui nous ressemblent, mais qui ne vivent que de notre regard, de nos sentiments à leur égard, des êtres aux personnalités multiples, aux traits flous, capables d’apparaître et de disparaître au gré des envies.

C’est l’un de ces être que Magda Makropoulos et Christian Jaeger, au sein de Vergiss mein nicht, traquent, chacun à sa manière : qu’on l’appelle Hypasie, Nomen Rosae, Kirsten Lie, etc, qu’elle soit blonde ou rousse, asiatique ou européenne, elle virevolte dans votre présent, s’ingère dans votre passé pour le modifier, pénètre dans les mémoires et les sens… Elle est l’équivalent féminin du chat du Cheschire, insaisissable et si perfidement séduisante. Une muse mortelle qui s’affronte au monde réel, traquée par ceux qui savent déchiffrer le passé, suivre – ainsi que des chasseurs - des traces en forme d’octets dans les mémoires mortes des ordinateurs : les historiens. Une traque donc, à cheval entre réel et virtuel, présent et passé, humanité et fantômes.

Certains romans attirent le superlatif : Anamnèse de Lady Star est indéniablement de ceux là. Laurent Kloetzer avait déjà à son actif un roman de fantasy remarqué, Le Royaume blessé, ainsi qu’un roman d’anticipation bluffant de maîtrise et de brio, Cleer. Bref, il s’était discrètement installé dans cette catégorie des auteurs à suivre, et dont on se dit qu’ils gagnent en puissance. Et le pari est tenu, au-delà des attentes : Anamnèse de Lady Star est sans doute l’un des romans de SF les plus aboutis, les plus bluffants du moment, qui révèle un écrivain maîtrisant parfaitement son projet, sensible à la musique des mots autant qu’à l’architecture de l’intrigue.

La méthode Kloetzer est rodée : le lecteur est lancé, sans explication ni lexique préalable, dans un univers spécifique avec ses mots, ses codes, son histoire. Au lecteur, un seul commandement : avance et débrouille-toi, apprends, découvre ton environnement et suis le lapin blanc. On part donc d’un Paris futuriste, qui pourrait être celui de Cleer, une anticipation légère… pour se retrouver, cinquante années plus tard, sur une planète dévastée, partagée entre des malades porteurs du virus iconique et retournés à l’état sauvage, et une société tournée vers les étoiles et les vertiges de la communication absolue. Entre ces deux mondes, une guerre… qui n’est pas celle du lecteur. Celui-ci est en effet occupé à une traque d’un genre singulier, aux côtés d’archéologues numériques, capables de brasser les mémoires numériques du siècle passé pour y rechercher un silhouette ; le voilà plongé dans les prodromes de l’attentat à la bombe iconique, puis dans ses lendemains immédiats. Chaque chapitre est, en soi, une nouvelle, explorant un style, un contexte, une ambiance, et fournissant par ailleurs des indices, des clefs qui mènent progressivement à cette mystérieuse muse Elohim.

Il y a une folie maîtrisée dans ce roman, qui laisse le lecteur pantois, parfois pris de vertige devant les questionnements et les résonances de l’histoire. Si vous avez trouvé Matrix profond, alors Anamnèse de Lady Star va vous faire plonger dans des abîmes. Avec virtuosité, Laurent Kloetzer livre, par touches légères, une vision d’un futur ébranlé, et d’une humanité qui a finalement colonisé l’espace virtuel comme elle a colonisé, quelques siècles auparavant, sa planète.

Anamnèse de Lady Star fait partie de ces romans qui incitent à plusieurs lectures : une lecture de découverte, tout au plaisir de l’exploration et de l’intrigue, et une autre de décantation afin de saisir les références, les implications, les pistes laissées – visibles ou cachées – par l’auteur. Un éblouissement donc, auquel il faut souhaiter une reconnaissance ample, en attendant le prochain opus du docteur Kloetzer…

lundi 20 mai 2013

La lecture puzzle de Lhisbei


Anamnèse de Lady Star pourrait être comparé un puzzle. Pas n'importe quel puzzle cependant. Un puzzle géant dont l'image finale, image imprimée habituellement sur le couvercle de la boite et que le passionné cherche à recréer avec fébrilité, serait celle d'une femme de trois quarts dos, aux contours volontairement flous, au visage masqué par une mèche de cheveux d'une couleur indéfinissable. Ce puzzle serait baptisé Elohim ou Nomen Rosae, Hypasie, Kirsten voire Marguerite.
Le puzzle s'articule autour d'un point central : le Satori, jour où la bombe iconique a explosé, éradiquant une grande partie des êtres humains. Les pièces issues de l'avant (découverte et développement de la bombe iconique par une équipe de scientifique, essais, parcours des terroristes...) s'imbriquent avec celle de l'après (commission d'enquête et procès, conséquences sociétales...) au fur et à mesure des témoignages, récits et enregistrements parcellaires. Par ce biais le lecteur est à même de reconstituer dans les grandes lignes les évènements malgré la distance temporelle. La bombe iconique est très particulière : par le biais de signes et de jeux de lumière elle est capable de provoquer un effondrement de la conscience de l'individu, le conduisant plus ou moins rapidement vers la mort. La contamination se fait par simple contact visuel et la propagation est pandémique. L'effondrement de la conscience s'accomapgne d'une posture du corps particulière, regard blanc, mains en coupe, qui lui a valu d'être baptisé Satori. Notre Elohim, une presque humaine (dont la nature extra-terrestre profonde ne sera finalement qu'esquissée) serait la dernière personne du premier cercle des acteurs ou des témoins de la genèse de la bombe. Sous différentes incarnations, elle l'aurait inspiré, participé à sa création et détiendrait peut-être un savoir dangereux. Elle doit être éradiquée pour que la bombe iconique ne puisse être recréée. 
Ici nous avons la première strate du puzzle. Mais si c'était aussi simple, malgré toute l'habileté à mélanger les pièces, le roman ne serait qu'un puzzle un peu plus difficile qu'un autre à réaliser. Avec Anamnèse de Lady Star nous avons un puzzle 3D parce que les thématiques abordées de manière frontale ou tangentes sont nombreuses : cohabitation de deux civilisations (humains et ET), guerre terroriste mondiale, pandémie aux accents "zombies", traumatisme sociétal, devoir de mémoire (le fantôme de la Nuremberg n'est pas loin), mysticisme, pouvoir de la musique, réseaux sociaux et nanotechonologies (j'arrête là car j'en dis trop). Et si cela ne suffisait pas, ce puzzle 3D se révèle doublé d'un casse-tête (un peu comme celui-ci tiens) permanent car les frontières entre réalité et fantasme, entre faits et rêves, entre souvenirs et réécriture du passé, entre la vie et ses avatars virtuels, sont en permanence brouillées. Au lecteur de faire fonctionner ses neurones pour déterminer le possible du probable. Malgré toutes ces difficultés apparentes il ne m'a pas été difficile de lire Anamnèse de Lady Star. D'une part parce que la structure du roman se révèle solidement bâtie et cohérente (les pièces s'emboîtent bien) et parce que je suis toujours aussi subjuguée par la plume des Kloetzer. A chaque chapitre ou presque, un narrateur différent et un style différent, adapté. Loin de perdre le lecteur, le procédé donne des points de repère et permet de passer, en douceur, d'une pièce à l'autre et de l'imbriquer avec celle qui précède ou celle qui l'a précédée 150 pages avant. Et pour couronner le tout, les références abondent. Clin do'eil des auteurs : la méthode Karenberg fait le lien avec Cleer, le précédent roman du couple Kloetzer. A la fin Anamnèse de Lady Star ne se révèle pas totalement et continue à mûrir dans l'esprit du lecteur : habité par le roman, ce dernier cherche encore certaines clés de lecture.
Un mot sur la couverture de Stéphane Perger ? Magnifique (et preuve qu'un camaïeu rose peut-être sublimé).
Un extrait pour terminer
« Elle veut qu'on la cherche, Christian, elle nous raconte une histoire. Pas un de ces scénarios où tout s'arrange, où chaque point répond à une question, non, elle nous raconte une histoire vraie, faite de témoignages contradictoires, de balbutiements, de rêves, faite de ce que nous sommes et de ce que nous aurions aimé être. Et chaque élément que nous découvrirons complétera l'image et la contredira, ouvrira de nouvelles portes, pour que nous continuions à travailler, à avancer dans le labyrinthe, à penser à elle. Elle a besoin de nous, elle à besoin que nous la cherchions à jamais.  »

    La lecture (abandonnée) du Dragon Galactique

    http://ledragongalactique.blogspot.fr/2013/05/anamnese-de-lady-star-ll-kloetzer.html

    Encore un livre que j'attendais avec impatience. Ayant adoré CLEER des mêmes auteurs, je ne pouvais que me jeter sur Anamnèse de Lady Star, qui avait de plus un pitch aux échos apocalyptiques.

    A dire vrai, voilà, j'ai eu beaucoup de mal avec cette lecture. Emportée dans le premier tiers, j'ai passé le reste du livre à tenter d'assembler le patchwork hétéroclite des récits qui le constituent. En vain. Pourtant, le style des auteurs me plait toujours autant et l'histoire sort vraiment de l'ordinaire : on remonte la piste d'une femme extraterrestre, une Elohim, suspectée d'avoir participé à la conception d'une bombe qui ravagea une partie de l'humanité. Ce jour funeste a été appelé le Satori. Le roman tourne autour de cet événement et de cet être, dont on a perdu la trace et qu'il faut retrouver à tout prix.
    Je me souviens avoir eu la connaissance, avoir tenu la lumière dans mes mains. Le temps d'un battement de cœur, mes yeux se sont ouverts, enfin ... Je me souviens avoir su ce que tous cherchaient, ce que je retrouverai, ce que je te donnerai si je peux.
    Je suis d'autant plus déçue que je vois fleurir sur la toile des critiques très enthousiastes. Je suis passée à côté de quelque chose, visiblement. Au fond, je le sens. Peut-être n'étais-je pas prête pour cette lecture et sans doute que mes difficultés de concentration de ces derniers temps ont joué grandement dans mon impression de lecture. Ce n'est pas un livre qu'on lit en tournant nonchalamment les pages, c'est une lecture exigeante, immersive. Je vais le garder dans un coin de ma bibliothèque et un jour je le ressortirai. Quand ce sera le moment.

    mardi 14 mai 2013

    Article de Fanny Taillandier, dans Livres Hebdo

    (extraits)
    II y a quelque chose de borgésien dans l'univers foisonnant que Kloetzer met en place, et dans le rapport que les protagonistes de cette traque entretiennent. 

    Cela ne déplaira pas aux férus de SF, et les autres trouveront, dans cet univers surmformatif, surnumérique, où chacun porte un egg qui le connecte et le révèle à l'ensemble du réseau, un aperçu convaincant de ce que peut devenir un monde où tout est signe.

    La chronique de Cyrille


    Ce livre avait tout pour me plaire. De l’anticipation intelligente, bien écrite. J’avais vraiment aimé Cleer, premier livre du duo (L. L. Kloetzer est le « pseudonyme » de Laurent et Laure Kloetzer). Mais au bout de 200 pages (sur 445), malgré tous mes efforts, j’arrête : je ne comprends rien. Je suis paumé, je confonds les personnages, j’ai l’impression d’échapper à l’essentiel. Le principe du puzzle qui, en se complétant au fur et à mesure, nous donne à voir l’image complète, c’est très séduisant, sauf que je ne vois rien, et ça finit par me tomber des mains. Trop d’acronymes, trop d’ellipses, trop de non-dits qui nuisent fortement à la lisibilité.
    Je déteste arrêter un livre avant la fin. Celui là, c’est pire que tout, on ne peut même pas dire que je l’ai détesté. Alors, je l’ai remis au milieu des dizaines de livres en attente d’être lus… Peut-être est-ce une question état d’esprit, de mauvais moment pour moi pour lire ce livre. Je réessaierai dans quelques années !
    Paru chez Denoël Lunes d’Encre

    lundi 13 mai 2013

    La chronique de Soleil Vert


    Sous l’influence d’une entité extra-terrestre un groupe de savants et de militaires met au point une « bombe iconique » qui échappe à leur contrôle et provoque la disparition des trois quarts de l’Humanité. Les survivants traquent les coupables et tentent de reconstituer la séquence d’évènements à l’origine de la catastrophe. Au centre de leur quête, la mystérieuse entité aux identités multiples.

    Déjà remarqués pour Cleer (1) un ouvrage ayant pour cadre une entreprise multinationale, Laura et Laurent Kloetzer récidivent avec un livre ambitieux qui prolonge la thématique du précédent. Anamnèse de Lady Star dénonce la toute puissance des images et la négation de l’individu dans les sociétés contemporaines. L’idée de la bombe iconique, n’est certes pas nouvelle. Dans Glyphes (2) de Paul J. McAuley un certain Morph dessine des graffitis sur les murs de Londres. Leur vue provoque un état de transe chez les victimes. La contemplation d’un dessin particulier engendre un état de conscience correspondant et rend possible une manipulation mentale.
    Mais les deux auteurs sont allés plus loin. L’altération psychique générée par le glyphe ou l’icône détruit le porteur et surtout se propage de façon pandémique par la vue et par tous les canaux de transmission possibles. Comme une métaphore des buzz sur les réseaux sociaux…

    Plus important, les Kloetzer ont rédigé un ouvrage placé sous « l’empire des signes » pour paraphraser le titre d’un essai de Roland Barthes.
    Tout est signe en effet dans Anamnèse de Lady Star. En premier lieu Hypasie, un des noms de l’Elohim extra-terrestre muse du sémiologue français Aberlour, qui calligraphie des icônes sous sa dictée. Hypasie, que Callixte tente en vain d’étreindre, se nourrit comme ses semblables des émotions des humains et ne leur renvoie que leur propre image. Signes aussi, les quantités astronomiques de films visionnés par les comités d’enquête plusieurs décennies après le « Satori ». Le roman se lit comme une succession de témoignages et d’observations et s’écarte du classique récit de survie post apocalyptique.


    Les créateurs d’Anamnèse de Lady Star ont conçus leur texte comme un assemblage de récits avec des ruptures chronologiques – à l'image de la nouvelle « Trois singes » extrait de l’anthologie de Serge Lehman Retour sur l’horizon. Le style, (avantage de l’écriture à deux mains ?) n’est jamais uniforme. Les variations autour du présent de l’indicatif, une leçon de Robert Silverberg, donnent parfois à la narration un caractère halluciné ou fiévreux.


    Certains chapitres demandent un effort de lecture plus soutenu. C’est le prix à payer pour une oeuvre conceptuelle, spéculative qui renoue avec les visions noires de Brunner, Herbert ou Ballard.


    (1) http://soleilgreen.blogspot.fr/2011/05/sf-et-entreprise-1.html
    (2) http://www.actusf.com/spip/article-4705.html

    Marianne L sur SensCritique

    http://www.senscritique.com/livre/Anamnese_de_Lady_Star/critique/22182087


    Parfois certaines quatrièmes de couverture emphatiques sonnent très faux. Ici c’est tout l’inverse : "Anamnèse de Lady Star fera date dans l’histoire de la science fiction française". Vraiment.
    L’humanité a été anéantie aux trois-quarts lors de cet événement ensuite appelé le Satori, l’explosion d’une bombe "iconique" à Islamabad. Les représentations visuelles transmises par cette bombe entraînent un effondrement psychique et la mort, effondrement qui se transmet d’un individu à l’autre par un simple regard. Les coupables, un petit groupe d’universitaires et de militaires français dépassés par leur création diabolique, ont été retrouvés, jugés et exécutés par un tribunal international.
    Mais cinquante ans après le Satori, utilisant les savoir-faire les plus pointus combinés à leurs instincts, des chercheurs traquent pour les effacer toutes les traces de la connaissance ayant permis un tel crime, et veulent éliminer tous les pièges à retardement que le Satori a laissé derrière lui, dans le monde démantelé d’une humanité décimée. Tournant autour du Satori comme de l’œil du cyclone, de 16 ans avant à 53 ans après lui, le récit se condense sur les traces mystérieuses d’une femme extra-terrestre, une Venus évanescente, et qui semble réapparaître dans toutes les facettes de ce drame.
    Un récit passionnant, magnifique et fascinant.
    « Que cherchons-nous ? Une femme, peut-être, une idée, sûrement.
    Comment la nommer ? Vous m’avez posé la question, au début. Puis elle s’est installée là, entre nous, un objet de travail, une quête partagée. Je vous entends parler d’elle. Vous dites "Le dossier fantôme", vous dites "Marguerite", vous dites "Nomen Rosae". Je n’ose rien poser. Nous voulons capturer de la fumée à l’aide d’un filet impalpable, elle se tient là, devant nous et si je la nomme, elle, celle à laquelle vous voulez me faire croire, je crains de la précipiter, de la projeter dans un référentiel où elle n’apparaîtra plus. Je ne suis ni un poète ni un rêveur. Je ne poursuis pas un idéal féminin. Je me moque de savoir si elle existe, si elle nous manipule, si elle nous ment. Je me moque de lui donner un nom. Nous avons de bonnes raisons de penser qu’elle était dans l’entourage d’Aberlour. De bonnes raisons, cela me suffit. Le témoignage de Herriman, les corps de Giessbach, le témoignage de Longtun que vous ne connaissez pas encore. C’est assez. Elle est plastique, elle s’est coulée dans leurs volontés, et même si ses intentions ne sont pas mauvaises, quelqu’un pourrait la manipuler, tenter de retrouver les gestes de leur foutue calligraphie, les signes de la bombe. Rappelez-vous : elle se tient en haut d’une montagne de milliards de cadavres.»

    Chronique de Jérémy Bernède dans le Midi Libre du 10 mai 2013


    lundi 6 mai 2013

    L'avis de René-Marc Dohel sur la noosfère

    http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146584022

    Trois ans après Cleer, voici le deuxième ouvrage de l'entité bicéphale L.L. Kloetzer, toujours dans la collection Lunes d'Encre de Denoël. A l'origine de ce récit, la nouvelle trois singes, parue dans l'anthologie Retour sur l'horizon et que l'on retrouve ici intégralement dans le deuxième chapitre.

    Une équipe scientifique française met au point une arme ultime capable d'éliminer rapidement, avec l'aspect d'une maladie, une partie de la population selon des critères génétiques. Après un premier test concluant par des militaires dans une vallée asiatique perdue, une utilisation à grande échelle tourne mal : la sélection des victimes n'est pas efficace et la majeure partie de l'humanité y passe. Cet événement tragique est assez ironiquement baptisé le Satori : un terme bouddhiste synonyme de l'épiphanie, le passage à une nouvelle étape de la compréhension, un éveil. Les témoignages des militaires, les informations glanées par une commission d'enquête officielle, le reportage d'une journaliste et d'autres récits indiquent la présence d'une femme évanescente, une Elohim, liée à l'équipe scientifique créatrice de l'arme.

    On le voit au travers de ce bref résumé, ainsi qu'avec le titre ou la (superbe) couverture : Anamnèse de Lady Star est un livre mystérieux. A l'opposé de Cleer, dont les personnages, si fiers de travailler pour une multinationale rêvée, étaient portés par les certitudes et par leur supériorité, tout dans ce roman est trouble, sujet à caution. Ce n'est pas pour rien que l'on peut trouver, au fil de la lecture, des références à Christopher Priest ou à Philip Dick : le doute, le questionnement de la réalité sont omniprésents dans le récit. Le duo Kloetzer ne facilite pas le travail : beaucoup d'informations sont distillées sans être expliquées. La nature même du personnage central, si elle est qualifiée d'Elohim, n'est pas plus détaillée, et c'est au lecteur de faire la part des choses, de s'interroger sur son existence. Les témoignages sont avant tout des narrations subjectives, parfois des dizaines d'années après les événements, et ceci ajoute à leur faible fiabilité.

    Sur la forme, si Anamnèse... se présente comme une succession de récits, ce n'est pas un recueil de nouvelles : ses différents chapitres forment bien un roman cohérent. D'un texte à l'autre, le narrateur, et donc le style, change. Si on est par moment dans le factuel rythmé par des dialogues, ou dans le récit à la première personne, on peut passer, dans le chapitre Giessbach, à un tunnel de quarante pages, quasiment sans interruption, sans respiration, une extraction brute de mémoires, peut-être le plus beau passage du roman, difficile à lâcher malgré son aridité. Car ce livre n'est certainement pas un page-turner : il demande des efforts au lecteur, sa compréhension se mérite et le lire trop vite serait gâcher la richesse de son contenu. Là ou Cleer était trop bref, ne montait pas assez en puissance et m'avait déçu par la sous-exploitation de son sujet, Anamnèse de Lady Star prend toute son ampleur, déploie son récit sur la bonne longueur et va au bout de ses ambitions. Et si l'influence de Christopher Priest est évidente (l'écrivain ne s'en cache pas), c'est plutôt à côté des grands romans de John Brunner que je classe ce livre : les thèmes abordés et la qualité du la narration n'ont pas grand-chose à envier à l'auteur de Tous à Zanzibar, et on obtient le meilleur roman de science-fiction de ces dernières années.



    dimanche 5 mai 2013

    L'avis de la librairie fantastique

    Parfois je suis un peu constipée de l’écriture. Il me faut digérer une lecture, l’envie d’en parler se fait sentir mais la chronique n’est pas prête à être délivrée ! (si c’est pas beau cette entrée en matière… quand même.)


    J’admire donc ces bloggeurs à même de tout le temps donner à chaud, avec une constance d’écriture précise (tous les jours ou tous les deux jours pour certains, rassurez-moi vous n’êtes pas des robots ?), leurs impressions sur un livre.


    Moi j’ai besoin de remâcher, de trouver les mots pour expliquer certaines images qui me viennent en tête. J’ai besoin de me remettre en situation, de retisser des liens entre l’écriture, l’histoire, les différents chapitres. Bref, ça demande de la préparation tout ça. Bon je n’aime pas attendre trop longtemps non plus, sinon je finis par oublier la moitié de ma lecture et je suis obligée de reprendre le livre sans cesse, je me force.


    Là, pour vous illustrer de quoi je parle, ça m’est arrivé avec Anamnèse de Lady Star, de L.L. Kloetzer, aux éditions Denoël. J’ai terminé le roman lundi, et mon esprit est resté comme coincé dans cette lecture, sans moyen de passer à autre chose, mais sans moyen non plus d’expliquer l’expérience que je venais de vivre. J’ai eu besoin de m’en remettre à mon rythme. J’ai tenté dix minutes après d’ouvrir Orgasme à Moscou de Edgar Hilsenrath, pourtant une autre très bonne lecture, mais le choc des genres a été si difficile à encaisser que je n’ai pas pu aller très loin. Il fallait me l’avouer, Anamnèse de Lady Starm’occupait toujours l’esprit, et j’avais besoin de temps pour me consacrer à autre chose.


    J’ai lu Anamnèse de Lady Star en deux temps, en deux jours, sur deux périodes de trois heures sans interruption… il faut que je vous dise que je n’ai pas lu trois heures sans interruption depuis, fioute, un sacré temps, disons certainement depuis mes études où je passais tout mon temps libre ou presque à libre, et même mes études à lire (déjà j'étudiais en spé métiers du livre, mais en plus je passais plus de temps à lire cachée derrière la table qu’à retranscrire les cours, c’est comme ça !). Non sans dec’, j’ai quand même réussi à réitérer cet exploit la semaine d’avant pour Les Proies, donc j’en fais un peu trop. Mais il est vrai que ça m’arrive rarement. Et là où Les Proies était quand même d’un niveau de lecture assez simple, L.L. Kloetzer place la barre au-dessus.
    Je tiens à dire deux mots sur la couv' du livre, qui est une oeuvre 
    d'art de Stéphane Perger, mais malgré tout vraiment trop rose. 
    Sérieux... trop de rose tue le rose.


    Mais qu’est-ce donc, Anamnèse de Lady Star ? Déjà le titre intrigue, personne ne sait ce que veut dire Anamnèse, c’est un mot bizarre, inusuel, et Lady Star, qui est-ce ? Je répondrai à ceci en temps voulu, place à un petit résumé (le moment que j’aime le moins, mais qui vous accroche le plus).


    Dans un futur proche, l’homme a établi le Contact avec les hommes descendus des cieux, les Elohim. Ils vivent parmi les humains, s’intègrent parfaitement ou presque à la civilisation.
    Dans un futur proche à lieu le Satori, le jour où une bombe a explosé à Islamabad, dévastant la moitié de l’humanité. C’est une bombe iconique, dont l’explosion s’attaque à la psyché, détruit les émotions intérieures, réduisant les hommes à l’état de légumes et qui peuvent contaminer les autres d’un simple regard.
    Trente ans après, une commission internationale a jugé tous les terroristes, les a condamné à perpétuité ou à se balancer au bout d’une corde. Mais certains sont persuadés que l’une d’entre eux manque, l’éternelle absente, dont on ne connait ni le nom ni le visage, sur qui l’on ne possède aucune piste fiable, excepté l’intuition qu’elle était là, et qu’elle a participé d’une manière ou d’une autre, qu’elle détient le dernier mot de l’histoire.


    L.L. Kloetzer a un don. Je devrais le mettre au pluriel parce qu’ils sont L. et L. Kloetzer, Laurent et Laure, mari et femme, les deux hémisphères du cerveau de l’œuvre. Ils ont, donc, un don. Ils sont capables de mélanger les genres, et de les sublimer. De l’apocalyptique, on en a eu à la pelle, sur papier et sur écran. De l’extraterrestre, on en a eu à foison, et du mélange des deux, on en a aussi eu assez pour une indigestion. Mais là, on est face à ce roman, inscrit dans la lignée de la SF apocalyptique, post-apocalyptique, dont la construction originale vous happe littéralement (pendant ma lecture je n’arrivais pas à m’arrêter) et dont la plume à la fois incisive et douce vous guide avec fascination du début jusqu’à la fin.
    Le duo L. L. fait vivre son roman sur soixante ans, de l’année -16 avant le Satori jusqu’à 50 ans après, retraçant ainsi les prémices du projet STAR (le projet de la bombe iconique), l’explosion de la bombe lancée par un fanatique, jusqu’à la chasse à l’homme obsessionnelle qui animera les survivants pour capturer celle qui leur glisse entre les doigts comme un fantôme, et qui fait le lien entre toutes les époques, omniprésente mais toujours absente, la clé de l’histoire et du roman.


    La force des Kloetzer, c’est d’arriver à créer un canevas cohérent et incroyablement bien construit avec des bouts de ficelles ténues. Il faut s’accrocher, chaque chapitre relatant l’avant ou l’après Satori est écrit avec le style qui correspond à son narrateur, à son personnage principal, allant du témoignage, à l’interview, à la confession. Très peu de choses sont expliquées, c’est au lecteur de saisir les bases de cet univers proche du notre où l’on comprend que l’homme et l’extraterrestres vivent ensemble sur Terre, se mêlent sans distinction. Les Elohims sont des êtres changeants, qui s‘adaptent aux humains pour vivre, ont besoin d’eux, de leur reconnaissance, de leur soutien, de leurs souvenirs pour être tangibles, présents, libres. L’après Satori, le jugement, la traque, sont contés dans un désordre chronologique volontaire, par le biais de différents narrateurs et à leur manière, et ce sont les nouveau termes techniques, les nouvelles normes de l’humanité qu’inventent Kloetzer qui déstabilise le lecteur, à la fois proche de notre civilisation, et finalement totalement nouveau.


    Ils définissent un nouvel ordre chaotique, constamment en guerre, toujours sur ses gardes, d’une grande violence, à la recherche d’un avenir possible sur une terre à l’agonie où titubent les malades du Satori, prêts à contaminer chaque survivant sur son passage. Ils imaginent un univers implacable, et nous projettent dedans, nous mettent en état de choc face à la dureté de cette bombe qui s’attaque au soi, épargne certains et achève les autres de façon sournoise et terrible, un futur où l’humain décide de détruite l’âme humaine et non pas l’être humain.

    Mais l’écriture poétique de Kloetzer, pointue et relevée, contrebalance avec brio cette dureté, ce propos terrible d’une presque éradication de l’humanité. C’est une langue difficile, qui alterne entre la beauté des mots, la fluidité des phrases et le heurt de ces termes nouveaux, de ce langage futur devant lequel on hésite au premier abord, alors on le relit, on l’absorbe, et il nous fait glisser habilement d’un coin à l’autre du récit, sans écueil, avec une aisance remarquable, une langue tout à fait à l’image de son titre, d’ailleurs ! Alors, je me suis renseignée pour l’origine du mot « anamnèse », qui ne me parlait absolument pas. Et il a plusieurs significations, une signification ésotérique (on pense aux homme qui viennent du ciel), médicinale (on pense à la maladie propagée par la bombe), psychologie (on pense au icônes qui s’attaquent à la psyché), religieuse (on pense aux Elohim qui ne vivent que par la l’adoration du l’humain), mais les synonymes proposés à l’anamnèse vous parleront certainement mieux, « expérience, histoire, passé ». C’est finalement en lisant l’œuvre, en terminant le roman, que ceci prend tout son sens.


    Bon, voilà comment j’ai vécu la lecture d’Anamnèse de Lady Star, avec unefascination compulsive, cette conscience aiguë de lire une nouvelle expérimentation du genre, difficile mais tout à fait géniale. J’ai fini par digérer ma lecture, mais je suis un peu déçue par cette masse grouillante d’idées que je vous lance à la figure.
    Anamnèse de Lady Star est tellement… tellement plus subtil, tellement plus complet, tellement PLUS. Il y aurait tant à dire. J’avais déjà beaucoup aimé le précédent titre du duo Kloetzer, Cleer, paru en 2010,mais là je suis conquise.


    Je vais en rester là, me concentrer sur Orgasme à Moscou où je vais me payer une tranche de rire, là pas de chausse-trappes dans l’écriture, pas de subtilités non plus, mais du plaisir aussi ! Je vous en dirai des nouvelles.