jeudi 17 octobre 2013

Le vertige d'Ertemel

http://ertemel.blogspot.ch/2013/10/vertige-litteraire-anamnese-de-lady-star.html
« Anamnèse » vient, d’après le dictionnaire Larousse, du grec anamnêsis, « action de rappeler à la mémoire ». La mémoire, celle du lecteur comme celle de la science-fiction française, sera sans nul doute marquée en profondeur par la lecture d’ « Anamnèse de Lady Star » de L. L. Kloetzer. Ce roman nous rappelle l’infinie richesse offerte par la littérature de science-fiction et la littérature en général. « Anamnèse de Lady Star » est un champ ouvert d’idées, qui ne sont pas seulement inventives, innovantes, mais qui nous parlent aussi et nous touchent. « Anamnèse de Lady Star » est ce genre de roman où l’on se demande à chaque page comment un auteur a pu imaginer autant de concepts et d’idées. Le roman en foisonne tellement, et est d’une telle originalité, qu’il devient impossible à résumer. C’est aussi le genre d’œuvre qui semble ne pouvoir exister qu’en littérature, seul média assez complexe pour être capable de transmettre la construction mentale imaginée par son auteur.
Pour essayer d’évoquer ce dont parle le roman, il faut peut-être partir de son titre : il est effectivement question de mémoire dans « Anamnèse de Lady Star ». En simplifiant à l’extrême, le roman part d’un futur que l’on peut qualifier de « post-apocalyptique » où la Terre a été ravagée par une épidémie d’un nouveau genre, déclenchée par une bombe d’un type inédit. « Nouveau » et « inédit » m’empêchant ici de vous en dévoiler plus sur des idées qui le sont bel et bien (nouvelles et inédites). 51 ans après cet événement zéro appelé « Satori », c’est l’histoire d’une enquête, par une étudiante en archéologie, menée dans les comptes-rendus des procès de l’inventeur de la bombe et de ses collaborateurs. C’est l’histoire d’une traque, celle d’une femme mystérieuse, qui aurait été la muse de l’inventeur de la bombe. Parfois appelée Hypasie, c’est possiblement la « Lady Star » du titre. Des mystères, le roman en est plein, malgré (ou à cause de) la densité d’informations contenues par la prose de L. L. Kloetzer. Mais Hypasie reste le centre voire l’origine de ces énigmes. Cet insaisissable personnage est un vide au cœur de l’intrigue, tel un trou noir autour duquel tourne et s’engouffre tout le roman. Et le lecteur avec.
« Anamnèse de Lady Star » est une histoire qui se réinvente à chaque chapitre, qui mute sous les yeux du lecteur, jusqu’à ce que celui-ci se rende compte que cette histoire, qu’il lit par l’intermédiaire de la plume de L. L. Kloetzer, il en est aussi l’auteur. Cependant, « Anamnèse de Lady Star » n’est pas seulement une métaphore de l’acte de création littéraire, ou de la création tout court. On ne saurait non plus le réduire à une réflexion sur les univers fictifs, bien que le roman contienne les pages parmi les plus belles et émouvantes écrites à ce sujet. C’est aussi, comme tout vrai roman d’anticipation, une œuvre qui parle de notre présent et de la plus grande peur du XXIème siècle. C’est tout simplement d’une formidable intelligence.




Chronique du Papillon dans la lune


Commençons simplement. Première chose : mais enfin, c'est quoi une anamnèse ? (SourceWiktionary) :
  1. (Religion) Prière qui, dans la messe, suit la consécration et rappelle le souvenir de la rédemption.
  2. (Médecine) Ensemble des renseignements préliminaires qu'un patient fournit sur l'histoire de sa maladie.
  3. (Psychologie) Informations relatives au passé du patient recueillies par le psychologue. 
Lady Star est une Elohim. Elle n'existe que si on pense à elle, que si on la désire. Elle a été capable de donner forme et vie aux idées d'Aberlour (son maître ?), qui a inventé une nouvelle arme : la bombe iconique qui tuera une grande partie de la population lors du jour funeste du Satori. 90% des personnes touchées meurent, les survivants deviennent des Porteurs Lents rendus à la sauvagerie, contagieux et morts en sursis. Les rescapés n'ayant pas été en contact avec la bombe ou les survivants de la bombes vivent derrière des murs ou leur casque, condamnés à éviter tout contact (visuel, auditif, bref toute interaction) avec les malades.

C'est terrible cette bombe : elle empêche l'humain de communiquer tout simplement, le virus se transmettant à la moindre interaction avec le malade. La base des relations humaines est pour partie détruite. Il y a eu un procès, des coupables ont été désignés, mais où se trouve cette femme mystérieuse qui semble avoir rendu cette attaque possible (et donc reproductible) ? Il n'y a même aucune preuve qu'elle existe...

Excellent récit que celui de ce couple d'auteurs. Le mot inclassable est de mise. A la fois post-apo à cause de la bombe, polar pour l'enquête autour de Lady Star, fantastique par la nature même de cette Elohim, et tout cela s'accorde parfaitement dans ce roman prenant du début presqu'à la fin...

J'ai fait l'erreur de m'arrêter quelques jours, et j'étais beaucoup moins dedans, je vous recommande donc d'avoir un peu de temps calme devant vous pour le lire, surtout que j'ai trouvé la fin légèrement en-dessous des deux premiers tiers du roman.

Petite parenthèse : la couverture de Stéphane Perger bien sûr, à tomber par terre, ça ne change pas. 
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En résumé, Anamnèse de Lady Star de L. L. Kloetzer est un excellent thriller d'anticipation, mais il serait dommage de le réduire à cette case uniquement. Ce roman est parfaitement inclassable, c'est un post-apocalyptique dans lequel les éléments du récit se mêlent, tout comme les époques, les personnages même, pour le plus grand plaisir du lecteur concentré qui tentera de déchiffrer la trame de l'histoire. Je me laisserai bien tenter par Cleermaintenant.

La chronique d'Anudar

http://grandebibliotheque.blogspot.ch/2013/10/anamnese-de-lady-star.html

Après la corporate-fiction, les Kloetzer s'essayent donc au post-apocalyptique, la majeure partie d'Anamnèse de Lady Star se passant après la catastrophe désignée d'une façon assez ironique par le vocable Satori. Des jours terribles qui suivent l'attentat d'Islamabad, le lecteur ne saura presque rien hormis à travers le témoignage ironique et moqueur de l'homme qui a déclenché la bombe - le seul, peut-être, à être immunisé contre ses effets : ce qui intéresse les auteurs, bien sûr, c'est la traque de la compagne/muse d'Aberlour. Une traque menée, un demi-siècle après le Satori, par une jeune chercheuse dont les hypothèses révolutionnaires vont amener - peut-être - ses chefs à fermer la boîte de Pandore une bonne fois pour toutes. Une traque de l'ère numérique, où les intelligences artificielles et autres moteurs de recherche deviennent les adjuvants nécessaires d'une quête qui ne dit pas son nom, parce que Magda et ses supérieurs ne sont, somme toute, rien d'autre que des paladins cherchant à mettre à jamais l'espèce humaine à l'abri de l'horreur qui l'a déjà frappée une fois. Ainsi les Kloetzer, à travers quelques références - par exemple aux méthodes Karenberg - mais aussi à travers une démarche typique font-ils le lien avec la post-fantasy de Cleer, sans toutefois se heurter à l'écueil de l'auto-citation intempestive.

Explorant tout d'abord les racines et les premiers surgeons du Satori, Anamnèse de Lady Star apparaît dans un premier temps comme un roman très dynamique et d'une extrême solidité interne. Cette idée d'une bombe mémétique, frappant la conscience humaine, et dont les effets sont transmissibles d'un sujet à l'autre - y compris à travers des supports tels que la télévision, par exemple ! - a quelque chose de vertigineux. Les esprits tatillons pourront, bien sûr, questionner la cohérence de l'invention et se demander, par exemple, comment le Satori a pu laisser des survivants si même les Porteurs Lents sont contagieux ? Il n'empêche : l'idée me semble si neuve, si originale, qu'il est d'autant plus facile de renoncer à de trop simples critiques pour se laisser couler dans le fil d'une histoire où le passé répond au présent de l'enquête.

Et puis... et puis... arrive le dernier quart du roman, et voilà que se dissipent en quelques pages toute la créativité, toute l'ingéniosité, toute l'originalité, en un mot toute l'intelligence des trois premiers. On a presque l'impression que les auteurs, d'un coup, se lassent de leur oeuvre. A l'enquête fébrile où le passé vient éclairer le présent, et le présent éclairer le passé, se substitue un étrange magma verbeux bien peu compréhensible, duquel surnagent quelques indices qui suggèrent, peut-être, que ce monde n'est rien d'autre qu'une vaste simulation informatique, avec ses simulations dans la simulation, comme dans les passages les plus fumeux de Matrix. Mais quel dommage ! Quel gâchis ! Une conclusion en queue de poisson, à moins qu'il ne s'agisse d'un clin d'oeil à celle de Cleer, vient achever ce tableau d'un livre qui n'aura tenu presque aucune de ses promesses. Il y avait matière à fonder ici une véritable SF mémétique, en poursuivant le mouvement innovant esquissé dans Cleer ; il y avait matière à questionner l'émergence de modalités de contacts sociaux immuns à la transmission de l'épidémie mémétique et donc d'aborder la problématique post-humaine d'une façon très originale : c'est donc en toute logique fort déçu que je tourne la dernière page de ce livre, et déterminé à passer à autre chose...