vendredi 19 juillet 2013

Un essai très riche de Joseph Altairac

http://www.actusf.com/spip/L-expresso-de-l-Oncle-Joe-7.html

Extrait.

Le monde existe : la preuve, il possède une chronologie.
Ce n’est pas une remarque anodine. « Anamnèse de Lady Star  » s’ouvre sur cette chronologie, garantissant que tout ce qui raconté — vrai ou faux, correctement ou incorrectement interprété — court sur une durée de 62 ans, entre -18 et +54, le 0 correspondant à l’« Attentat d’Islamabad », déclencheur du « Satori », la « pandémie terrifiante », comme il est dit en quatrième de couverture. Ce n’est pas un remarque anodine, car il serait alors trop facile, et surtout bien dommage, de se débarrasser de l’ensemble des problèmes à la fois crispants, obsédants, horripilants et passionnants que soulève le roman — ou que l’on se fabrique soi-même par dessus le marché en cours de lecture —, en décrétant que tout ceci ne serait que l’immense hallucination d’un des personnages, ou une sorte de synthèse onirique des hallucinations de plusieurs personnages : des rêves et des hallucinations, ce n’est pas ce qui manque dans « Anamnèse de Lady Star », mais cette chronologie, exposée avant même la page de titre — je refuse de savoir que c’est un procédé de l’éditeur, qui pratique de manière similaire avec d’autres romans de statuts tout différents —, entérine l’existence formelle de l’univers de référence, avec ses principes, ses invariants, sa charte implicite, sur lesquels se projette le drame. Exit l’échappatoire facile, si l’on veut chroniquer « Anamnèse de Lady Star », il faut loyalement accepter le risque de s’y casser les dents.

(...)

L’énigme des Elohims

Dès le premier témoignage, celui de Callixte Longtun, Hypasie, qui s’appelle encore Kirsten Lie, est présentée comme une « Elohim » :

«  Callixte n’a jamais cru au Contact, comme tout catholique éduqué il est très soupçonneux dès qu’il entend parler d’un miracle. […] Il avait une vingtaine d’années quand tout a commencé, il pensait que la mode extraterrestre serait vite passée ; sur ce point, il admet s’être trompé.
Dans les discussions il faisait partie des sceptiques, des méfiants. Le phénomène a enflé, il y a eu l’Agora, les résurgences, les témoignages de plus en plus nombreux de la présence des autres, ceux qui ne sont pas nés d’une femme. Un sociologue quelconque l’a constaté : nous sommes maintenant tous à moins de trois degrés de séparation de l’un d’entre eux. Mais, même mis en présence d’un fils des étoiles, la plupart des gens continuaient à croire à un complot américain/chinois/saoudien. Comment croire à des étrangers si semblables ? Qui nous connaissaient si bien ? Comment expliquer que si peu de choses ait changé depuis leur apparition, sinon par le fait évident que l’ensemble de cette histoire relevait d’une forme d’illusion collective ? L’Agora est devenu un lobby influent, […], on a parlé d’utilisation militaire des capacités métacognitives des fils des étoiles, quelques mythes du surhomme ont été réactivés. La fusion de la minorité Elo dans la société a surtout entraîné le développement des publicités invasives, des théories du Gestalt, des tenant de la déconnexion totale et des arcs narratifs de nombreux soap de qualité. Un peu de fiction se rependait dans le monde réel, comme toujours. Et les revendications sociales des Elo et de leurs amis sonnaient tout aussi creux que celles des clans gays et lesbiens, quelques décennies plus tôt.
On ne pouvait toutefois plus ignorer leur présence. […] Il essaie de comprendre quelque chose aux théories du swap, à l’imprégnation mimétique, à tous les phénomènes hypnotiques entourant les fils des étoiles. […] 
 »
« Imprégnation mimétique  », «  phénomènes hypnotiques  », voilà qui colle bien à l’énigmatique Hypasie/Kristen Lie, styliste et maîtresse du professeur Abelour, mais la qualifier d’« Elohim », c’est expliquer une énigme par un mystère… Cependant, à ma première lecture, une expression m’a immédiatement frappé : « fils des étoiles  », qui s’est instantanément transformée en « enfants des étoiles », comme chacun sait le titre d’un roman de H.G. Wells, publié en 1937 et traduit en français en 1939… Je me permets de me citer moi-même, en recopiant un extrait du petit guide «  H.G. Wells, parcours d’une œuvre » (Encrage, 1998) qui résume le roman :

« L’historien Joseph Davis est saisi d’une sourde inquiétude. Sa femme, enceinte, lui paraît avoir un comportement étrange. Et une puissance extraterrestre, des Martiens peut-être, tentait de modifier, de « martianiser » l’espèce humaine, en bombardant les chromosomes humains au moyen de rayons cosmiques ? Ce serait la plus subtile des invasions. Certains indices laissent à penser que cette idée n’est pas si fille que l’on pourrait le croire, et la curieuse obsession de Davis contamine quelques penseurs qui l’interprèteront à leur manière.[…] Ce dernier scientific romance est surtout prétexte à philosopher sur l’avenir de l’humanité, mais l’idée de base reste fascinante. […]  »

Une seconde référence m’est venue à l’esprit, mais moins rapidement, car je ne connais guère le dossier : celui des prétendus « enfants indigo », bizarre mouvement New Age initié dans les années 70-80 du XXe siècle et popularisé par le nombreux écrits d’un couple d’illuminés, Lee Carroll et Jan Tober : des enfants naîtraient de temps à autre avec des caractéristiques psychologiques — et parapsychologiques — particulières, qui les désigneraient comme une nouvelle étape de l’évolution de l’humanité. Lee Carroll et Jan Tober étant des adeptes convaincus du « channeling  », prétendu procédé de communication télépathique avec des entités surnaturelles ou extraterrestres, tout se tient… H.G. Wells aurait sûrement été surpris de voir ainsi bizarrement déformée et factualisée une de ses idées ! L.L. Kloetzer, en créant les « Elohims  », a réalisé une habile fusion des « Star Begotten » wellsiens et des «  star children  » du New Age. On y voit donc un peu plus clair, mais on ne saura pas, dans « Anamnèse de Lady Star  » si la qualité d’« extraterrestre  » d’Hypasie, comme des autres « Elohims  », doit être prise au pied de la lettre. Au lecteur d’interpréter. Hypasie conservera en tout cas tout un long du récit un caractère que l’on pourrait qualifier de numineux. Sans excès, cependant : que les sensibilités matérialistes se rassurent.

(...)

Le reste ici:

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