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vendredi 23 août 2013

La chronique de Phil Becker sur ImaginR

http://imaginr-chroniques.blogspot.ch/2013/08/anamnesede-lady-star-connu-son-petit.html

Anamnèse de Lady Star a connu son petit buzz dans les cercles du fandom SF.

L’auteur français L.L. Kloetzer qui est en réalité un couple, le succès de leur ouvrage précédent Cleer, le titre, la couverture sublime et les premières rumeurs sur le scénario avaient déjà commencé à rendre l’ouvrage envoûtant.

Anamnèse de Lady Star est un roman exigeant et paradoxal : il demande à la fois une attention de tous les instants et un laisser-aller dans le cours d’une histoire qui se dévoile doucement.

Anamnèse, c’est d’abord un contexte. Nous sommes dans un futur proche, quasi contemporain. Parmi nous vivent les Elohim, des êtres à l’apparence humaine, mais éthérés, évanescents, capables de bonds dans l’espace et le temps. Extra-terrestres ? Ce n’est jamais vraiment précisé. Ils ne vivent que de l’attention qu’on leur porte. Ignorés par les hommes, ils disparaissent.

C’est dans cette univers que la pire arme de destruction massive est inventée dans le but d’éliminer des races entières : la bombe icônique. Il s’agit de symboles visuels qui contaminent celui qui les aperçoit. Et voir un contaminé suffit à devenir soi-même porteur de ce virus qui ravage alors la planète. On peut en mourir immédiatement ou devenir un porteur lent. Une guerre est à demi évoquée, où les soldats portent des casques brouilleurs pour ne pas voir les symboles.
Le livre aurait pu avoir la facilité de raconter cette histoire passionnante de manipulation par idéogrammes. Mais non, le récit évolue quelques dizaines d'années après le Satori, le lancement de la bombe.

Anamnèse de Lady Star raconte la recherche, par des survivants de la catastrophe, des dernières traces de la bombe. Pour que ça n’arrive plus jamais. Pour éliminer quiconque détiendrait encore le secret de l’arme icônique.
Le livre se découpe alors en rencontres, en rapports, en reconstitutions du passé via simulations. Le tout forme une vaste enquête à travers tout ce qui reste du Satori. Et toutes ces personnes interrogées – soldats, notables, inconnus – ont un point commun. La présence d’une femme, une Elohim aux noms et identités multiples : Nomen Rosae, Kirsten Lie, déesse Norn. Jamais présente, toujours là. On déduit son existence, on devine sa simple influence et l’écriture de L.L. Kloetzer devient un jeu subtil. La nasse se resserre : il faut la retrouver, la tuer. Elle est ce qui reste de la bombe. A moins qu’elle ne veuille qu’on la trouve, que ce soit l’enquête par elle-même qui la fasse exister.

Avec son ordre déstructuré et non chronologique, sa puissance mystique et cet art de ne pas tout dire, le lecteur a le sentiment qu’il manque une partie de l’histoire, qu’il y a bien plus derrière les lignes. C’est peut-être le reproche que l’on pourrait faire à l’ouvrage. Mais c’est en même temps sa force, cette impression d’ensemble flou, ces jeux d’identités et de vérité. Car chaque témoignage, chaque souvenir est suivi du doute : qui a menti, qui a manipulé la source numérique ou le souvenir ? Sans oublier quelques passages forts que l’on traverse comme on traverse un rêve. Cet hôtel savoyard où un gardien au cerveau lavé garde les sarcophages de pontes du Satori en jouant du jazz seul dans le grand salon, ou cet univers virtuel, Assur, jeu vidéo sans but ni instruction qui n’est que le reflet de la conscience de ceux qui s’y connectent.

Anamnèse de Lady Star, c’est le post-apocalyptique sans désert, ni mutants, ni survie. C’est le post-apocalyptique de la conscience.

vendredi 19 juillet 2013

Un essai très riche de Joseph Altairac

http://www.actusf.com/spip/L-expresso-de-l-Oncle-Joe-7.html

Extrait.

Le monde existe : la preuve, il possède une chronologie.
Ce n’est pas une remarque anodine. « Anamnèse de Lady Star  » s’ouvre sur cette chronologie, garantissant que tout ce qui raconté — vrai ou faux, correctement ou incorrectement interprété — court sur une durée de 62 ans, entre -18 et +54, le 0 correspondant à l’« Attentat d’Islamabad », déclencheur du « Satori », la « pandémie terrifiante », comme il est dit en quatrième de couverture. Ce n’est pas un remarque anodine, car il serait alors trop facile, et surtout bien dommage, de se débarrasser de l’ensemble des problèmes à la fois crispants, obsédants, horripilants et passionnants que soulève le roman — ou que l’on se fabrique soi-même par dessus le marché en cours de lecture —, en décrétant que tout ceci ne serait que l’immense hallucination d’un des personnages, ou une sorte de synthèse onirique des hallucinations de plusieurs personnages : des rêves et des hallucinations, ce n’est pas ce qui manque dans « Anamnèse de Lady Star », mais cette chronologie, exposée avant même la page de titre — je refuse de savoir que c’est un procédé de l’éditeur, qui pratique de manière similaire avec d’autres romans de statuts tout différents —, entérine l’existence formelle de l’univers de référence, avec ses principes, ses invariants, sa charte implicite, sur lesquels se projette le drame. Exit l’échappatoire facile, si l’on veut chroniquer « Anamnèse de Lady Star », il faut loyalement accepter le risque de s’y casser les dents.

(...)

L’énigme des Elohims

Dès le premier témoignage, celui de Callixte Longtun, Hypasie, qui s’appelle encore Kirsten Lie, est présentée comme une « Elohim » :

«  Callixte n’a jamais cru au Contact, comme tout catholique éduqué il est très soupçonneux dès qu’il entend parler d’un miracle. […] Il avait une vingtaine d’années quand tout a commencé, il pensait que la mode extraterrestre serait vite passée ; sur ce point, il admet s’être trompé.
Dans les discussions il faisait partie des sceptiques, des méfiants. Le phénomène a enflé, il y a eu l’Agora, les résurgences, les témoignages de plus en plus nombreux de la présence des autres, ceux qui ne sont pas nés d’une femme. Un sociologue quelconque l’a constaté : nous sommes maintenant tous à moins de trois degrés de séparation de l’un d’entre eux. Mais, même mis en présence d’un fils des étoiles, la plupart des gens continuaient à croire à un complot américain/chinois/saoudien. Comment croire à des étrangers si semblables ? Qui nous connaissaient si bien ? Comment expliquer que si peu de choses ait changé depuis leur apparition, sinon par le fait évident que l’ensemble de cette histoire relevait d’une forme d’illusion collective ? L’Agora est devenu un lobby influent, […], on a parlé d’utilisation militaire des capacités métacognitives des fils des étoiles, quelques mythes du surhomme ont été réactivés. La fusion de la minorité Elo dans la société a surtout entraîné le développement des publicités invasives, des théories du Gestalt, des tenant de la déconnexion totale et des arcs narratifs de nombreux soap de qualité. Un peu de fiction se rependait dans le monde réel, comme toujours. Et les revendications sociales des Elo et de leurs amis sonnaient tout aussi creux que celles des clans gays et lesbiens, quelques décennies plus tôt.
On ne pouvait toutefois plus ignorer leur présence. […] Il essaie de comprendre quelque chose aux théories du swap, à l’imprégnation mimétique, à tous les phénomènes hypnotiques entourant les fils des étoiles. […] 
 »
« Imprégnation mimétique  », «  phénomènes hypnotiques  », voilà qui colle bien à l’énigmatique Hypasie/Kristen Lie, styliste et maîtresse du professeur Abelour, mais la qualifier d’« Elohim », c’est expliquer une énigme par un mystère… Cependant, à ma première lecture, une expression m’a immédiatement frappé : « fils des étoiles  », qui s’est instantanément transformée en « enfants des étoiles », comme chacun sait le titre d’un roman de H.G. Wells, publié en 1937 et traduit en français en 1939… Je me permets de me citer moi-même, en recopiant un extrait du petit guide «  H.G. Wells, parcours d’une œuvre » (Encrage, 1998) qui résume le roman :

« L’historien Joseph Davis est saisi d’une sourde inquiétude. Sa femme, enceinte, lui paraît avoir un comportement étrange. Et une puissance extraterrestre, des Martiens peut-être, tentait de modifier, de « martianiser » l’espèce humaine, en bombardant les chromosomes humains au moyen de rayons cosmiques ? Ce serait la plus subtile des invasions. Certains indices laissent à penser que cette idée n’est pas si fille que l’on pourrait le croire, et la curieuse obsession de Davis contamine quelques penseurs qui l’interprèteront à leur manière.[…] Ce dernier scientific romance est surtout prétexte à philosopher sur l’avenir de l’humanité, mais l’idée de base reste fascinante. […]  »

Une seconde référence m’est venue à l’esprit, mais moins rapidement, car je ne connais guère le dossier : celui des prétendus « enfants indigo », bizarre mouvement New Age initié dans les années 70-80 du XXe siècle et popularisé par le nombreux écrits d’un couple d’illuminés, Lee Carroll et Jan Tober : des enfants naîtraient de temps à autre avec des caractéristiques psychologiques — et parapsychologiques — particulières, qui les désigneraient comme une nouvelle étape de l’évolution de l’humanité. Lee Carroll et Jan Tober étant des adeptes convaincus du « channeling  », prétendu procédé de communication télépathique avec des entités surnaturelles ou extraterrestres, tout se tient… H.G. Wells aurait sûrement été surpris de voir ainsi bizarrement déformée et factualisée une de ses idées ! L.L. Kloetzer, en créant les « Elohims  », a réalisé une habile fusion des « Star Begotten » wellsiens et des «  star children  » du New Age. On y voit donc un peu plus clair, mais on ne saura pas, dans « Anamnèse de Lady Star  » si la qualité d’« extraterrestre  » d’Hypasie, comme des autres « Elohims  », doit être prise au pied de la lettre. Au lecteur d’interpréter. Hypasie conservera en tout cas tout un long du récit un caractère que l’on pourrait qualifier de numineux. Sans excès, cependant : que les sensibilités matérialistes se rassurent.

(...)

Le reste ici:

mardi 21 mai 2013

Vertigineux -- sur parutions.com

http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=374&ida=15655

Tout commence avec la fin du monde, un fin inattendue, terroriste, qui voit les 3/4 de la population mondiale disparaître, la conscience cramée par une bombe d’un nouveau genre, une «bombe iconique». Et – cocorico douteux – ce sont des terroristes français qui sont à l’origine de sa conception comme de son utilisation, un truc particulièrement vicieux en ce que ses effets demeurent contagieux sur le long terme...

Une cinquantaine d’années plus tard, dans un monde renouvelé, mais qui se relève lentement, et s’est, entre-temps, réfugié dans les étoiles et dans les univers virtuels, une organisation secrète singulière, Vergiss mein nicht, traque les divers auteurs de l’attentat, et particulièrement la muse terroriste. Car la bombe procède d’une réflexion à la fois militaire et esthétique, et il a donc fallu une muse pour en catalyser et, dans une certaine mesure, en sublimer la puissance mortelle. Or cette muse est du genre ineffable : dans ce présent alternatif, des êtres venus des étoiles, les Elohim, ont fait leur apparition, des êtres qui nous ressemblent, mais qui ne vivent que de notre regard, de nos sentiments à leur égard, des êtres aux personnalités multiples, aux traits flous, capables d’apparaître et de disparaître au gré des envies.

C’est l’un de ces être que Magda Makropoulos et Christian Jaeger, au sein de Vergiss mein nicht, traquent, chacun à sa manière : qu’on l’appelle Hypasie, Nomen Rosae, Kirsten Lie, etc, qu’elle soit blonde ou rousse, asiatique ou européenne, elle virevolte dans votre présent, s’ingère dans votre passé pour le modifier, pénètre dans les mémoires et les sens… Elle est l’équivalent féminin du chat du Cheschire, insaisissable et si perfidement séduisante. Une muse mortelle qui s’affronte au monde réel, traquée par ceux qui savent déchiffrer le passé, suivre – ainsi que des chasseurs - des traces en forme d’octets dans les mémoires mortes des ordinateurs : les historiens. Une traque donc, à cheval entre réel et virtuel, présent et passé, humanité et fantômes.

Certains romans attirent le superlatif : Anamnèse de Lady Star est indéniablement de ceux là. Laurent Kloetzer avait déjà à son actif un roman de fantasy remarqué, Le Royaume blessé, ainsi qu’un roman d’anticipation bluffant de maîtrise et de brio, Cleer. Bref, il s’était discrètement installé dans cette catégorie des auteurs à suivre, et dont on se dit qu’ils gagnent en puissance. Et le pari est tenu, au-delà des attentes : Anamnèse de Lady Star est sans doute l’un des romans de SF les plus aboutis, les plus bluffants du moment, qui révèle un écrivain maîtrisant parfaitement son projet, sensible à la musique des mots autant qu’à l’architecture de l’intrigue.

La méthode Kloetzer est rodée : le lecteur est lancé, sans explication ni lexique préalable, dans un univers spécifique avec ses mots, ses codes, son histoire. Au lecteur, un seul commandement : avance et débrouille-toi, apprends, découvre ton environnement et suis le lapin blanc. On part donc d’un Paris futuriste, qui pourrait être celui de Cleer, une anticipation légère… pour se retrouver, cinquante années plus tard, sur une planète dévastée, partagée entre des malades porteurs du virus iconique et retournés à l’état sauvage, et une société tournée vers les étoiles et les vertiges de la communication absolue. Entre ces deux mondes, une guerre… qui n’est pas celle du lecteur. Celui-ci est en effet occupé à une traque d’un genre singulier, aux côtés d’archéologues numériques, capables de brasser les mémoires numériques du siècle passé pour y rechercher un silhouette ; le voilà plongé dans les prodromes de l’attentat à la bombe iconique, puis dans ses lendemains immédiats. Chaque chapitre est, en soi, une nouvelle, explorant un style, un contexte, une ambiance, et fournissant par ailleurs des indices, des clefs qui mènent progressivement à cette mystérieuse muse Elohim.

Il y a une folie maîtrisée dans ce roman, qui laisse le lecteur pantois, parfois pris de vertige devant les questionnements et les résonances de l’histoire. Si vous avez trouvé Matrix profond, alors Anamnèse de Lady Star va vous faire plonger dans des abîmes. Avec virtuosité, Laurent Kloetzer livre, par touches légères, une vision d’un futur ébranlé, et d’une humanité qui a finalement colonisé l’espace virtuel comme elle a colonisé, quelques siècles auparavant, sa planète.

Anamnèse de Lady Star fait partie de ces romans qui incitent à plusieurs lectures : une lecture de découverte, tout au plaisir de l’exploration et de l’intrigue, et une autre de décantation afin de saisir les références, les implications, les pistes laissées – visibles ou cachées – par l’auteur. Un éblouissement donc, auquel il faut souhaiter une reconnaissance ample, en attendant le prochain opus du docteur Kloetzer…

mardi 14 mai 2013

Article de Fanny Taillandier, dans Livres Hebdo

(extraits)
II y a quelque chose de borgésien dans l'univers foisonnant que Kloetzer met en place, et dans le rapport que les protagonistes de cette traque entretiennent. 

Cela ne déplaira pas aux férus de SF, et les autres trouveront, dans cet univers surmformatif, surnumérique, où chacun porte un egg qui le connecte et le révèle à l'ensemble du réseau, un aperçu convaincant de ce que peut devenir un monde où tout est signe.

lundi 6 mai 2013

L'avis de René-Marc Dohel sur la noosfère

http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146584022

Trois ans après Cleer, voici le deuxième ouvrage de l'entité bicéphale L.L. Kloetzer, toujours dans la collection Lunes d'Encre de Denoël. A l'origine de ce récit, la nouvelle trois singes, parue dans l'anthologie Retour sur l'horizon et que l'on retrouve ici intégralement dans le deuxième chapitre.

Une équipe scientifique française met au point une arme ultime capable d'éliminer rapidement, avec l'aspect d'une maladie, une partie de la population selon des critères génétiques. Après un premier test concluant par des militaires dans une vallée asiatique perdue, une utilisation à grande échelle tourne mal : la sélection des victimes n'est pas efficace et la majeure partie de l'humanité y passe. Cet événement tragique est assez ironiquement baptisé le Satori : un terme bouddhiste synonyme de l'épiphanie, le passage à une nouvelle étape de la compréhension, un éveil. Les témoignages des militaires, les informations glanées par une commission d'enquête officielle, le reportage d'une journaliste et d'autres récits indiquent la présence d'une femme évanescente, une Elohim, liée à l'équipe scientifique créatrice de l'arme.

On le voit au travers de ce bref résumé, ainsi qu'avec le titre ou la (superbe) couverture : Anamnèse de Lady Star est un livre mystérieux. A l'opposé de Cleer, dont les personnages, si fiers de travailler pour une multinationale rêvée, étaient portés par les certitudes et par leur supériorité, tout dans ce roman est trouble, sujet à caution. Ce n'est pas pour rien que l'on peut trouver, au fil de la lecture, des références à Christopher Priest ou à Philip Dick : le doute, le questionnement de la réalité sont omniprésents dans le récit. Le duo Kloetzer ne facilite pas le travail : beaucoup d'informations sont distillées sans être expliquées. La nature même du personnage central, si elle est qualifiée d'Elohim, n'est pas plus détaillée, et c'est au lecteur de faire la part des choses, de s'interroger sur son existence. Les témoignages sont avant tout des narrations subjectives, parfois des dizaines d'années après les événements, et ceci ajoute à leur faible fiabilité.

Sur la forme, si Anamnèse... se présente comme une succession de récits, ce n'est pas un recueil de nouvelles : ses différents chapitres forment bien un roman cohérent. D'un texte à l'autre, le narrateur, et donc le style, change. Si on est par moment dans le factuel rythmé par des dialogues, ou dans le récit à la première personne, on peut passer, dans le chapitre Giessbach, à un tunnel de quarante pages, quasiment sans interruption, sans respiration, une extraction brute de mémoires, peut-être le plus beau passage du roman, difficile à lâcher malgré son aridité. Car ce livre n'est certainement pas un page-turner : il demande des efforts au lecteur, sa compréhension se mérite et le lire trop vite serait gâcher la richesse de son contenu. Là ou Cleer était trop bref, ne montait pas assez en puissance et m'avait déçu par la sous-exploitation de son sujet, Anamnèse de Lady Star prend toute son ampleur, déploie son récit sur la bonne longueur et va au bout de ses ambitions. Et si l'influence de Christopher Priest est évidente (l'écrivain ne s'en cache pas), c'est plutôt à côté des grands romans de John Brunner que je classe ce livre : les thèmes abordés et la qualité du la narration n'ont pas grand-chose à envier à l'auteur de Tous à Zanzibar, et on obtient le meilleur roman de science-fiction de ces dernières années.



jeudi 25 avril 2013

L'avis de la librairie Charybde

Après CLEER, magistrale première collaboration entre Laurent et Laure Kloetzer, en 2010, le couple nous revient en ce mois d’avril 2013 avec 270 pages qui devraient – je pèse mes mots – faire date. Anamnèse de Lady Star est certainement l’un des meilleurs romans étiquetés « science-fiction » que j’aie lu ces dernières années, et l’un des meilleurs romans – tout court –, traitant avec ambition et exigence d’un agencement du devenir collectif et des devenirs individuels, que je connaisse.

Une difficulté pour en rendre compte reste d’éviter tout dévoilement dommageable, car si le suspense n’est pas, du tout, le moteur principal du roman, la joie des découvertes et des connexions inattendues y est bien présente, jusqu’au bout… Je vais m’y efforcer, en ne présentant « clairement » que les éléments factuels établis dès les premières dizaines de pages.

Dans un futur plutôt proche a lieu le Satori. L’espèce humaine titube quelques mois, quelques années, au bord de l’anéantissement, après qu’une bombe terroriste d’un genre tout à fait particulier – s’attaquant, visuellement, à la structure psychique et cognitive de l’esprit humain – a été utilisée à Islamabad, et ait rapidement contaminé des centaines de millions d’individus, bien au-delà des visées des apprentis sorciers ayant commis l’attentat.

Autour de ce point zéro du Satori, qui domine la chronologie des 70 années qui seront évoquées dans le roman (15 avant, 55 après), il s’agit bien de « refermer la boîte de Pandore » (que représente l’existence de cette bombe), boîte de malédiction ouverte par une poignée d’universitaires avant-gardistes « illuminés », avec le soutien de militaires dépassés par leur création et d’idéologues dévoyés à même de kidnapper le produit de leurs recherches conjointes… De la commission d’enquête internationale chargée d’établir les responsabilités du désastre et de traquer les coupables aux organisations plus secrètes s’auto-mandatant pour éradiquer le risque de récidive au plus profond possible, de base militaire japonaise en hôtel de luxe abandonné en Suisse, L.L. Kloetzer a su, comme dans le roman précédent, mais à la puissance 10, éviter le piège de l’essai futuriste bavard déguisé en récit.

Le roman suit au plus près quelques personnages, dont les puissances, les fragilités ou les faiblesses, à l’instar des deux consultants employés par CLEER, constituent les véritables moteurs du roman. Personnages d’enquêteurs dévoués, scrupuleux, voire doués, qui doivent toutefois s’inventer un destin individuel au-delà de la traque à laquelle ils se consacrent… Personnages, surtout, qui se réorganisent en permanence, qu’ils le veuillent ou non, autour de la figure centrale du récit, toute en beauté, en absence et en dissimulation, présence fantômatique mais pourtant bien réelle qui, créature fantastique nécessitant des trésors d’attention pour pouvoir exister, cherche elle-même une voie possible, une existence, en précédant les enquêtes pour mieux s’y fondre…

Car parallèlement à l’enquête devant clore le passé, l’espèce humaine décimée doit absolument s’inventer un futur, s’abstraire si possible d’une planète devenue trop dangereuse, tant que rôderont victimes en sursis et pièges symboliques à retardement. Dans cette quête d’univers nouveau où les plus pointus savoirs-faire en matière d’environnements informatiques ludo-poétiques ne peuvent que jouer un rôle essentiel, c’est peut-être de la fusion pourtant a priori impossible de ces désirs individuels contradictoires qu’une synthèse victorieuse pourra naître.

Un roman passionnant de bout en bout, dont l’écriture d’une rare précision technique reste nimbée, comme dans CLEER, d’une poésie diaphane, et dont la résonance, comme une ultime note de basse distordue mais porteuse, dure bien longtemps après la fin de la lecture.

http://www.charybde.fr/l-l-kloetzer/anamnese-de-lady-star