mardi 21 mai 2013

Vertigineux -- sur parutions.com

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Tout commence avec la fin du monde, un fin inattendue, terroriste, qui voit les 3/4 de la population mondiale disparaître, la conscience cramée par une bombe d’un nouveau genre, une «bombe iconique». Et – cocorico douteux – ce sont des terroristes français qui sont à l’origine de sa conception comme de son utilisation, un truc particulièrement vicieux en ce que ses effets demeurent contagieux sur le long terme...

Une cinquantaine d’années plus tard, dans un monde renouvelé, mais qui se relève lentement, et s’est, entre-temps, réfugié dans les étoiles et dans les univers virtuels, une organisation secrète singulière, Vergiss mein nicht, traque les divers auteurs de l’attentat, et particulièrement la muse terroriste. Car la bombe procède d’une réflexion à la fois militaire et esthétique, et il a donc fallu une muse pour en catalyser et, dans une certaine mesure, en sublimer la puissance mortelle. Or cette muse est du genre ineffable : dans ce présent alternatif, des êtres venus des étoiles, les Elohim, ont fait leur apparition, des êtres qui nous ressemblent, mais qui ne vivent que de notre regard, de nos sentiments à leur égard, des êtres aux personnalités multiples, aux traits flous, capables d’apparaître et de disparaître au gré des envies.

C’est l’un de ces être que Magda Makropoulos et Christian Jaeger, au sein de Vergiss mein nicht, traquent, chacun à sa manière : qu’on l’appelle Hypasie, Nomen Rosae, Kirsten Lie, etc, qu’elle soit blonde ou rousse, asiatique ou européenne, elle virevolte dans votre présent, s’ingère dans votre passé pour le modifier, pénètre dans les mémoires et les sens… Elle est l’équivalent féminin du chat du Cheschire, insaisissable et si perfidement séduisante. Une muse mortelle qui s’affronte au monde réel, traquée par ceux qui savent déchiffrer le passé, suivre – ainsi que des chasseurs - des traces en forme d’octets dans les mémoires mortes des ordinateurs : les historiens. Une traque donc, à cheval entre réel et virtuel, présent et passé, humanité et fantômes.

Certains romans attirent le superlatif : Anamnèse de Lady Star est indéniablement de ceux là. Laurent Kloetzer avait déjà à son actif un roman de fantasy remarqué, Le Royaume blessé, ainsi qu’un roman d’anticipation bluffant de maîtrise et de brio, Cleer. Bref, il s’était discrètement installé dans cette catégorie des auteurs à suivre, et dont on se dit qu’ils gagnent en puissance. Et le pari est tenu, au-delà des attentes : Anamnèse de Lady Star est sans doute l’un des romans de SF les plus aboutis, les plus bluffants du moment, qui révèle un écrivain maîtrisant parfaitement son projet, sensible à la musique des mots autant qu’à l’architecture de l’intrigue.

La méthode Kloetzer est rodée : le lecteur est lancé, sans explication ni lexique préalable, dans un univers spécifique avec ses mots, ses codes, son histoire. Au lecteur, un seul commandement : avance et débrouille-toi, apprends, découvre ton environnement et suis le lapin blanc. On part donc d’un Paris futuriste, qui pourrait être celui de Cleer, une anticipation légère… pour se retrouver, cinquante années plus tard, sur une planète dévastée, partagée entre des malades porteurs du virus iconique et retournés à l’état sauvage, et une société tournée vers les étoiles et les vertiges de la communication absolue. Entre ces deux mondes, une guerre… qui n’est pas celle du lecteur. Celui-ci est en effet occupé à une traque d’un genre singulier, aux côtés d’archéologues numériques, capables de brasser les mémoires numériques du siècle passé pour y rechercher un silhouette ; le voilà plongé dans les prodromes de l’attentat à la bombe iconique, puis dans ses lendemains immédiats. Chaque chapitre est, en soi, une nouvelle, explorant un style, un contexte, une ambiance, et fournissant par ailleurs des indices, des clefs qui mènent progressivement à cette mystérieuse muse Elohim.

Il y a une folie maîtrisée dans ce roman, qui laisse le lecteur pantois, parfois pris de vertige devant les questionnements et les résonances de l’histoire. Si vous avez trouvé Matrix profond, alors Anamnèse de Lady Star va vous faire plonger dans des abîmes. Avec virtuosité, Laurent Kloetzer livre, par touches légères, une vision d’un futur ébranlé, et d’une humanité qui a finalement colonisé l’espace virtuel comme elle a colonisé, quelques siècles auparavant, sa planète.

Anamnèse de Lady Star fait partie de ces romans qui incitent à plusieurs lectures : une lecture de découverte, tout au plaisir de l’exploration et de l’intrigue, et une autre de décantation afin de saisir les références, les implications, les pistes laissées – visibles ou cachées – par l’auteur. Un éblouissement donc, auquel il faut souhaiter une reconnaissance ample, en attendant le prochain opus du docteur Kloetzer…

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